D EPUIS sept semaines qu'ils sont en grève, les infirmiers spécialisés en anesthésie-réanimation et en activité de bloc opératoire ont beaucoup fait parler d'eux. Ils partagent la palme du mécontentement avec les cadres soignants. Des surveillants et des surveillants-chefs, peut-être un peu plus discrets mais qui, en dépit de leurs habitudes, sont eux aussi descendus dans la rue à plusieurs reprises pour réclamer davantage de reconnaissance.
A chacune de ces deux catégories professionnelles, le gouvernement, dans le cadre de la négociation globale sur l'évolution des filières hospitalières (« le Quotidien » du 26 février), a fait des propositions qui ont jusqu'à demain pour être encore affinées mais dont il n'est pas certain qu'elles suffisent à apaiser les esprits.
Chez les infirmiers spécialisés, qu'ils soient IADE ou IBODE (anesthésistes de bloc opératoire diplômés d'Etat), tout en reconnaissant qu' « un effort » a été fait par les pouvoirs publics, on estime que « le compte n'y est pas ». Les salaires restent trop modestes pour les jeunes recrues ( « tous les bénéfices sont concentrés en fin de carrière », déplore le CNIA (Collectif national des infirmiers anesthésistes), le déroulement des carrières n'est pas précisé... Bref, la grogne, que le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, n'a pas réussi à éteindre en recevant IADE et IBODE, continue. Le mot d'ordre de grève est maintenu au moins jusqu'à samedi, date à laquelle les 10 000 infirmiers spécialisés de France et de Navarre sont invités à aller rappeler à l'ordre la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, jusque dans son fief de campagne, en Avignon.
Du côté des cadres soignants, les propositions des pouvoirs publics sont à peine mieux accueillies. Création d'un corps de cadres de santé, amélioration du régime indemnitaire (500 F mensuels en début de carrière, 1 000 F en fin de carrière), modification programmée des textes statutaires pour une meilleure définition du rôle et des missions des cadres soignants : « Tout cela va calmer un peu le jeu, mais ne réglera pas le problème de positionnement des cadres à l'hôpital », résume Nicole Monsterlet, vice-présidente de la catégorie cadres soignants au sein du SNCH (Syndicat national des cadres hospitaliers).
Car les cadres infirmiers - 21 000 surveillants, 4 500 surveillants-chefs - sont de leur propre aveu au-delà du malaise. Ils sont à bout. Qu'ils se soient mis en grève (à Trousseau ou à Robert-Debré, à Paris, ils ont pratiquement tous cessé de travailler), qu'ils aient manifesté en septembre - ce qui ne leur était pas arrivé depuis 1988-1989, et encore s'étaient-ils ces années-là mêlés aux infirmières en colère - en est la preuve. « Certains cadres ont boycotté des réunions institutionnelles, d'autres ont refusé de participer à l'accréditation, d'autres encore ont occupé des lignes de TGV. Ces actions, qui s'apparentent parfois à des mouvements de révolte, sont pour nous nouvelles et exceptionnelles », analyse Annie Bertelle, secrétaire générale de l'UFMICT-CGT.
C'est pour leur reconnaissance que se battent aujourd'hui les cadres paramédicaux, et cela passe par des salaires revus à la hausse (actuellement une surveillante générale en fin de carrière gagne par mois 500 F de plus qu'une infirmière en fin de carrière), par des effectifs renforcés (il y aurait à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris 200 postes vacants), mais surtout par l'attribution d'une place bien définie à l'encadrement soignant.
Or, pour l'heure, un seul texte évoque cette place. Il confie aux cadres soignants la tâche d'« assister le chef de service ». Point. Mais la réalité est bien plus complexe : sur le terrain, les surveillants sont souvent à la tête de l'équivalent de petites entreprises, chargés d'organiser le travail de 100 ou 150 personnes. « Nous sommes, résume une surveillante d'un grand hôpital parisien, au centre de plusieurs logiques. La logique hospitalière, administrative, celle des restrictions de budgets et de l'obligation de résultats. La logique médicale, souvent contradictoire, qui représente encore un pouvoir énorme à l'hôpital. La logique des patients, puisque nous sommes garants de la sécurité des soins. La logique de la paix sociale avec des personnels qui font de plus en plus passer leur vie personnelle avant leur vie professionnelle. » A la croisée de tous les chemins de l'hôpital, les cadres ont l'impression de n'avoir de prise sur rien. « C'est sur eux que s'exerce le mécontentement des familles, des patients, des personnels, résume Annie Bertelle, et ils gèrent l'impossible. » Le tout pour 15 000 F par mois. Inconfortable au départ parce que mal définie, peu à peu fragilisée par la diète budgétaire imposée aux hôpitaux et par des tâches nouvelles comme l'accréditation ou les vigilances, la position des cadres soignants est devenue intenable. Y compris en termes de responsabilité. Las de devoir faire des choix graves en tant que dernier maillon de la chaîne, choqués par l'exemple de ce cadre de Trousseau mis en examen en juin dernier après la mort d'un bébé, les cadres soignants veulent aussi que soit inscrit dans leur statut un « droit d'alerte et de refus », lequel leur permettra de dire non à un projet s'ils n'ont pas les moyens de le mettre en uvre ou s'ils le jugent contraire à leur éthique professionnelle.
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