Quatre ans après le vote de la loi Bertrand de décembre 2011, en partie consacrée à la prévention des conflits d'intérêt dans le champ sanitaire, la Cour des Comptes rend public ce mercredi un rapport critique sur la situation avec un message clair : les zones d'ombre sont encore bien présentes.
Trois dispositions majeures ont été introduites par cette réforme inspirée du Sunshine Act : la généralisation de l'obligation de déclaration de liens d'intérêt et de leur publication ; l'enregistrement et la publication des comptes rendus des débats des commissions d'expertise ; et la publication sur un site unique des avantages consentis aux professionnels de santé par les entreprises. Or, « malgré les progrès réalisés, les trois dispositifs de transparence et de gestion des conflits d'intérêts restent incomplets », résume l'institution de la rue Cambon.
Ainsi, les dispositions mises en place ne permettent toujours pas d'apprécier facilement les liens entre les professionnels et l'industrie, et encore moins de garantir l'absence de conflit d'intérêts.
Pour porter ce jugement, la Cour a enquêté sur la mise en œuvre de la réforme au sein de la Haute autorité de santé (HAS), de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), du Comité économique des produits de santé (CEPS), de l'Institut national du cancer (INCa) et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).
DPI : à chacun sa recette...
La Cour observe par exemple que les groupes internes aux agences chargés de préparer les décisions des commissions soumises à l'obligation de déclaration publique d'intérêt (DPI) ne se considèrent pas toujours comme assujettis à cette obligation, au motif qu'ils n'ont qu'une voix consultative.
La loi est parfois librement interprétée, tacle la Cour, qui relève que l'analyse des liens d'intérêt de certains experts bénéficie d'assouplissements « d'une manière que la Cour juge irrégulière ». Les agences invoquent l'absence d'experts sanitaires compétents, mais la Cour note que cette absence n'est jamais documentée.
La gestion des déclarations d'intérêts par les agences est sujette à caution. Sur 2 904 dpi analysées, « la Cour a constaté un taux d'anomalies de 22 % et même, s'agissant de l'ONIAM et du CEPS, de plus de 40 % ». Les anomalies sont parfois graves puisqu'elles peuvent porter sur l'absence de publication de la DPI, sur des omissions déclaratives, et le plus souvent sur des défauts de mise à jour annuelle.
La Cour aborde le sujet du site unique ministériel destiné à recueillir ces DPI. « Plus de quatre ans après l'intervention de la loi, regrette l'institution, ce site unique n'existe toujours pas ».
Le CEPS mauvais élève
Si la publicité des débats est satisfaisante, la Cour regrette que la liste des commissions dont les débats doivent être enregistrés soit laissée au bon vouloir des agences elles-mêmes. L'institution pointe le CEPS, dont les débats « ne sont ni enregistrés ni publiés ».
La Cour revient aussi sur l'imbroglio relatif à la nature de ce qui doit être ou non publié. Un premier décret excluait en effet les rémunérations versées par les industriels aux professionnels de santé et ne retenait que les avantages (souvent mineurs) au titre de l'« hospitalité » (183,7 millions d'euros en 2014). La loi de santé rend désormais obligatoire la publication de la nature et du montant des conventions signées. Ces incertitudes ont retardé la mise en œuvre du site internet devant héberger ces données.
Pour améliorer la transparence, la Cour des comptes recommande de faire respecter « rigoureusement » les obligations de non-participation de tous les membres d'instances collégiales, commissions ou groupes de travail ayant des liens d'intérêt directs ou indirects avec l'affaire examinée.
Elle suggère aussi de rendre obligatoire la mention du numéro RPPS sur chaque DPI, afin de faciliter le croisement de ces données avec celles du site transparence santé. La Cour réclame par ailleurs de mettre en place sans tarder le site unique de recueil des déclarations d'intérêts.
Autre préconisation : obliger les industriels à adresser à l'Ordre, par télétransmission, les projets de conventions médecins/industrie (et le compte rendu de toute activité financée dans ce domaine).
Enfin, de façon plus positive, les sages proposent au gouvernement d'engager une réflexion afin de valoriser l'expertise sanitaire dans la carrière des enseignants/chercheurs et praticiens hospitaliers.
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