Alors que les cabinets libéraux ne désemplissent pas et que les délais de rendez-vous s’allongent, des médecins généralistes assument de n’accepter aujourd’hui qu’« un seul motif par consultation », refusant les demandes multiples.
Même si le phénomène n’est pas nouveau en médecine générale, les difficultés d’accès aux soins de premier recours ont accentué la tendance des patients à regrouper et multiplier les requêtes, une véritable « liste de courses » qui agace parfois. « Des patients viennent consulter pour un mal de gorge, mais aussi une douleur au pied et au genou, avant de réclamer un certificat pour le sport. À 30 euros, faire des consultations à cinq ou six motifs, cela n'a plus beaucoup de sens et nuit à la qualité des soins », concède le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. « Le bon sens est parfois perdu, ajoute le médecin de famille mayennais. On appelle aussi le 15 pour les 38° de fièvre de son enfant, sans lui avoir donné du paracétamol. »
Consumérisme
Cette évolution des comportements des patients traduit également une forme de consumérisme médical, dans un contexte où se multiplient les structures de soins non programmés et de soins immédiats. « On subit un phénomène de “tout tout de suite” généralisé, y compris de la part de patients qui ont un médecin traitant, analyse encore le Dr Duquesnel. La multiplication des demandes est un des signaux. Certains prennent même des rendez-vous d’urgence en exagérant les symptômes, au détriment de ceux qui en ont vraiment besoin. »
Depuis quelques mois, certains cabinets affichent donc la couleur avec la consigne explicite d’« un seul motif » par consultation, règle rappelée oralement par les secrétariats, affichée dans des salles d’attente, notamment dans les centres de soins non programmés, ou même mentionnée sur les sites de prise de rendez-vous. La pratique aurait gagné du terrain au printemps 2025, régulièrement évoquée dans la presse régionale, miroir d’une tension entre la surcharge de travail des généralistes et la croissance de la demande de soins.
Si les représentants syndicaux de la profession disent comprendre la réaction des praticiens débordés qui reprennent la main sur leur agenda, pas question pour autant de faire de cette consigne un mot d’ordre syndical. « Le problème avec cette revendication, c’est qu’une consultation = un motif, ça n’existe pas ! objecte le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S. En trente ans de pratique je n’ai jamais vu quelqu’un qui venait me voir pour un motif unique. Cela dit, je comprends mes confrères. » « La vraie problématique, ajoute le généraliste de Fronton, c’est la consultation complexe à motifs multiples. Là, on peut comprendre l’application de dépassements pour exigence particulière ou de demander au patient de prendre simplement un nouveau rendez-vous ».
Contestation
« Le “une consultation, un motif” est complètement contraire à la logique de suivi global du patient », recadre la Dr Agnès Giannotti. La présidente de MG France renvoie à l’enquête du syndicat publiée en début d’année, rappelant que les problèmes aigus de la sphères ORL, le renouvellement des traitements chroniques et les sujets gastriques sont les trois motifs les plus fréquents de consultation en dernière minute. « Les consultations à seul un motif sont très rares dans notre exercice… Je comprends en revanche qu’elles soient déployées dans les centres de soins non programmés qui ont une optique de rentabilité financière », grince la généraliste parisienne.
« Imposer aux patients un seul motif me paraît insupportable
Gérard Raymond, président de France Assos Santé
Sur le fond, n’accepter qu’un seul motif par consultation apparaît aussi comme une modalité de contestation professionnelle pour la valeur de l’acte et contre les mesures punitives envisagées ces dernières semaines (régulation à l’installation, vacations obligatoires dans les zones fragiles). « C’est vraie que c’est une réaction qu’on voit monter du terrain, même si rien ne permet de la quantifier précisément », confie la Dr Patricia Lefébure. La présidente de la FMF applique elle-même un dépassement (DE) pour les consultations qui dépassent trois motifs et durent plus de vingt minutes. « Bien sûr il y a une logique un peu commerciale, qui choque certains patients, mais quand je leur explique que je travaille avec une assistante médicale et une secrétaire, avec des charges, ils me comprennent, témoigne la généraliste. Les patients sont incités à mieux préparer leurs consultations, à prioriser leurs besoins et à accepter, si nécessaire, un suivi réparti sur plusieurs séances. »
Du côté des représentants des patients, cette restriction du colloque singulier ne passe pas. « Compte tenu des difficultés du système de santé, imposer aux patients un seul motif me paraît insupportable. Et c’est vrai que nous recevons aujourd’hui des plaintes de personnes qui ne comprennent pas ce mouvement », relate le président de France Assos santé, Gérard Raymond, qui refuse pour autant de fustiger les médecins.
Du côté de l’Ordre des médecins, le sujet n’a pas fait l’objet de position officielle. Et le Dr René-Pierre Labarrière, président de la section exercice au sein du Cnom, affirme n’avoir pas eu connaissance de contentieux au niveau national. Néanmoins, souligne l’élu ordinal, le code de déontologie n’autorise « aucune restriction arbitraire de la consultation. Un médecin n’est pas un prestataire de service soumis à une logique de rentabilité par acte ou par symptôme. Et le code de déontologie indique aussi que la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ». En revanche, précise-t-il, « le médecin peut fractionner sa consultation s’il estime que la demande complexe nécessite du temps d’exploration et peut donc demander de revoir le patient ».
Attention, en tout cas, à ne pas transformer la consultation en prestation de services facturés. « Ce qui n'est pas possible, c'est de dire de manière préalable : un motif, une consultation et donc une facturation », ajoute le Dr Labarrière. Afficher ou imposer ce principe de motif unique pourrait même être « poursuivi sur le plan disciplinaire ».
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