Branle-bas de combat. Engagée dans une guerre tarifaire, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) a confirmé ce jeudi devant la presse son appel à une grève massive « à partir du 3 juin », sauf pour les urgences vitales (dialyses, chimiothérapies). Le lobby des cliniques est accompagné dans cette bataille par cinq des six syndicats représentatifs (CSMF, Avenir Spé-Le Bloc, UFML-S, SML, FMF), à la faveur d’une « alliance totale entre médecine libérale et hospitalisation privée », a précisé d’emblée Lamine Gharbi, président de la FHP.
Les cliniques prévoient pour l'instant une suspension totale de leurs activités du 3 au 5 juin, prolongée jusqu'au 9 juin – la date des élections européennes – pour les urgences et la permanence des soins. Mais le mouvement est déjà annoncé comme « reconductible », et à durée indéterminée.
Depuis la révélation de la campagne tarifaire 2024, les cliniques sont vent debout contre la hausse limitée de 0,3 % accordée par l’exécutif versus 4,3 % pour l’hôpital public. Un affront inacceptable pour le secteur : « Tous les ministres de la Santé depuis Agnès Buzyn avaient porté l’égalité de traitement entre public et privé. Cette année, il y a eu zéro discussion. Nous avons été éjectés de la campagne tarifaire. Nous sommes maltraités », peste Lamine Gharbi.
La FHP réclame de 500 millions d’euros pour « l’équité »
Concrètement, la FHP réclame une augmentation de quelque 500 millions d'euros de l'enveloppe budgétaire allouée aux hôpitaux privés pour 2024 (sur une enveloppe totale de 18 milliards) afin de bénéficier d'une hausse jugée « équivalente » à celle allouée aux hôpitaux publics. Plus précisément, la fin des hostilités serait sifflée si le gouvernement débloquait 521 millions d’euros – des crédits prévus dans l’Ondam 2024 mais non fléchés aujourd’hui vers le privé. Dans le détail, cette rallonge pourrait venir pour 200 millions des Migac (missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation) et pour 321 millions d’euros de fonds liés à la permanence des soins en établissement de santé (PDS-ES), imagine la FHP. Des financements jugés indispensables pour compenser l'inflation et revaloriser les salaires à la même hauteur que dans le public. Selon la FHP, 40% des établissements privés sont aujourd'hui en perte, avec un déficit global de 800 millions d'euros.
Craignant pour leur outil et leurs conditions de travail, les cinq syndicats de médecins libéraux présents à la conférence de presse – représentant principalement les spécialistes – sont donc solidaires de cet arrêt d’activité inédit. Ils ont rejoint le mouvement après avoir suspendu de leur côté les négociations conventionnelles avec la Cnam début avril, exceptée la CSMF qui soutient le conflit mais n’appelle pas à la grève.
« Si nos établissements nous disent que certaines activités sont déficitaires, qu'on ferme des services, des blocs opératoires, parce que ce n'est plus rentable (...), notre activité sera en grande difficulté », a expliqué le Dr Philippe Cuq, coprésident du syndicat de spécialistes Avenir Spé – Le Bloc, alertant sur une situation jamais connue. « Les pouvoirs publics font une erreur majeure, ajoute le chirurgien, très énervé. Courant mai, nous allons devoir contacter et déprogrammer les patients (entre le 15 et 20 mai). C’est insupportable de devoir en arriver là. » Les patients hospitalisés continueront à être soignés, a-t-il précisé.
Refonte de la CCAM : 500 millions supplémentaires également !
Dans le cadre des négociations conventionnelles, les syndicats de médecins libéraux réclament également une revalorisation immédiate de la classification commune des actes médicaux (CCAM technique), à hauteur de 500 millions d’euros supplémentaires. À ce stade, la Cnam ne proposerait « que » 100 millions d’euros pour cette refonte. « Certains actes n’ont pas été revalorisés depuis 1990, comme la coloscopie, ce n’est plus tenable ! Des établissements vont mettre la clé sous la porte », s’indigne le Dr Franck Devulder, président de la CSMF.
Il n’y a pas eu de Ségur des cabinets médicaux libéraux
Dr Patrick Gasser, coprésident d’Avenir Spé- Le Bloc
La réévaluation de la CCAM technique contribuerait aussi à assurer les revalorisations salariales des quelque 100 000 employés travaillant dans les cabinets libéraux. Or, selon le Dr Patrick Gasser, coprésident de l’Union Avenir Spé-Le Bloc, « il n’y a toujours pas eu de “Ségur” des cabinets libéraux », ce qui rend impossible la hausse des salaires de ces personnels sans fragiliser l’équilibre financier des entreprises médicales libérales. Un argument d’équilibre budgétaire également avancé par la FHP. Les cliniques « ont aussi des soignants de garde », et en l'état actuel « nous n'avons pas les moyens de les revaloriser », avance Lamine Gharbi.
À la question de savoir si les négos pourront aboutir avant la fin mai – date butoir que souhaiterait imposer la Cnam pour en finir avant les élections européennes – les leaders syndicaux s’insurgent. Le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML-Syndicat) réclame le temps qu’il faudra pour aboutir. « Si l’on doit négocier avec un nouveau ministre de la Santé après les élections européennes, peu nous importe ! Nous n’allons pas nous aligner sur le calendrier des politiques », peste le généraliste de Fronton.
La pertinence des soins, gisement d’économies ?
Dans ce contexte, les syndicats mettent l’accent sur les besoins médicaux croissants et le coût élevé des thérapeutiques et ils appellent plutôt les pouvoirs publics à faire la chasse aux actes non pertinents pour trouver des leviers d’économies et maintenir la qualité des soins. « Avec le recul de l’âge de la retraite, nous devons tout faire pour maintenir les gens en bonne santé le plus tard possible. Or cela devient impossible », illustre la Dr Sophie Bauer, présidente du SML.
Au-delà de l’arrêt d’activité des soins non vitaux, les urgences devraient être transférées vers le public. La FHP a même commencé à faire circuler parmi ses adhérents, ses soignants et ses patients une pétition qui déplore une « discrimination forte » envers le privé, déjà signée par 25 000 personnes. L’objectif premier est de recueillir 100 000 signatures.
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