L'ensemble des hôpitaux publics et privés consomment autant d'électricité que cinq millions de foyers français, selon les calculs de l'Anap, l'agence nationale d'appui aux établissements. Contrairement aux domiciles des particuliers, seront-ils pour autant épargnés par les risques de coupures de courant qui sont de moins en mois exclus cet hiver ? Sur le papier oui, ce qui n'est pas le cas, en revanche, de la médecine de ville. À la mi-octobre, le gouvernement a, en effet, balayé les craintes de délestages pour les hôpitaux, tout en appelant, en même temps, les agences régionales de santé (ARS) à « anticiper les risques d'approvisionnement en électricité et gaz pour l'hiver 2023 » notamment en recensant « tous les établissements qui seraient en situation de fragilité ».
La Fédération hospitalière de France (FHF) prend aussi le risque au sérieux et a demandé à rencontrer le ministère de la Transition énergétique. Celui-ci lui a assuré, dès début de l’été, que « les hôpitaux ne sont a priori pas concernés par le délestage car ce sont des opérateurs de service essentiels », rapporte Rudy Chouvel, responsable-adjoint du pôle offres de la FHF. C'est un arrêté du 5 juillet 1990 qui fixe, en effet, les consignes générales de délestages sur les réseaux électriques. Le texte précise notamment que la satisfaction des besoins essentiels de la nation nécessite le maintien d'un « service prioritaire » pour alimenter en énergie électrique les usagers des hôpitaux, cliniques et laboratoires. Ceux-ci « ne sauraient souffrir d'interruption dans leur fonctionnement sans mettre en danger des vies humaines », justifie logiquement le texte.
Groupes électrogènes
L'AP-HP fait d'ailleurs référence à cet arrêté pour affirmer que « le risque de coupure pour des problèmes d’approvisionnement est extrêmement faible ». Et quand bien même, en cas délestage, les groupes électrogènes, qui font l’objet de « maintenance régulière » et d'essais mensuels, continueraient à alimenter en électricité ses sites, précise le CHU francilien au « Quotidien ». Aucune inquiétude non plus à Marseille où les groupes électrogènes ont une capacité de production d'électricité très largement supérieure aux besoins de l'AP-HM, confiait son directeur au « Quotidien ». Le CHU de Poitiers produit, lui, sa propre électricité depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.
Et pourtant, l'inquiétude flotte parfois. Au centre hospitalier de Vire dans le Calvados, les syndicats se sont émus que la direction ait brutalement coupé le chauffage fin septembre. Le directeur général du GHT « Les collines de Normandie », David Trouchaud souligne qu'il n'y a eu pas de coupure. « Nous avons suivi les instructions du gouvernement : repousser un peu les dates de rallumage du chauffage, compte tenu des températures relativement douces de l’été indien, indique-t-il au « Quotidien ». Quoiqu’il arrive, l’opérateur national d'électricité ne fera pas de délestage sur les services d’urgence et les hôpitaux. C’est inenvisageable. »
Même optimiste du côté de l'hospitalisation privée. « Je ne crois pas un seul instant que nous soyons délestés, ou alors cela voudrait dire que plus rien ne fonctionne ! » affirme Lamine Charbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP). Même en cas de coupures, les cliniques « continueront à tourner », également grâce à leurs groupes électrogènes dont « la capacité de charge est testée tous les mois », précise le patron du groupe Cap Santé.
Risques de tension
Ces appareils sont d'ailleurs associés à des ondulateurs qui fournissent une alimentation électrique de secours. « Ils peuvent prendre le relais des groupes électrogènes en cas de coupures accidentelles », explique Rudy Chouvel qui rappelle cependant que ces mêmes groupes électrogènes sont alimentés au fioul. Les cuves doivent donc être pleines et ce n'est pas la seule précaution à prendre.
En effet, une instruction interministérielle en date du 13 octobre liste un certain nombre de mesures pour anticiper « les éventuels risques de tension d’approvisionnement » en électricité et gaz au cours de l’hiver. Sont particulièrement visés : les établissements « insécurisés » sur le plan contractuel qui connaissent des difficultés de négociations en cours ou une infructuosité des marchés. Ceux-ci sont jugés « particulièrement vulnérables » et s’exposent à « un risque accru de pénurie ».
Pour éviter une rupture d’approvisionnement, le ministère de la Santé propose des processus d’achat simplifié ou un groupement de commandes. Et pour sécuriser les infrastructures et les procédures de secours, les établissements, qui disposent pourtant de « fournisseurs de secours », sont encouragés à revoir leur plan de continuité d’activité et « à s’exercer à la gestion de pannes électriques de grande ampleur ».
Inquiétude en ville
La situation est sensiblement différente en ville. Avant même la fin de l’été, ses organisations représentatives alertaient déjà le gouvernement sur des risques de coupures sauvages en cabinet cet hiver. Les Libéraux de santé (LDS) - qui regroupe onze syndicats représentatifs des professionnels de santé libéraux - demandaient ainsi à l’exécutif de garantir un approvisionnement des lieux d’exercice de ville, comme c’est le cas pour les établissements. Deux mois plus tard, « nous n’avons reçu aucune réponse du gouvernement », indique le Dr Philippe Vermesch, membre des LDS et président du Syndicat des médecins libéraux (SML).
Alors qu’Enedis prévient depuis plusieurs semaines que des coupures pourront être réalisées quartier par quartier, les libéraux pourront donc en subir, comme tout le monde, « sauf éventuellement ceux qui sont installés juste à côté d’un hôpital », imagine le Dr Vermesch. Mais pour le président du SML, il faut être rassurant : « des coupures d’une ou deux heures nous ne nous empêcherons pas de travailler, on s’adaptera ». Conseils de prudence toutefois à destination des confrères : « il faut veiller à avoir un onduleur pour son ordinateur », insiste le stomatologue de Saint-Raphaël.
Du côté de MG France, c’est plutôt le chauffage qui est au cœur des inquiétudes. Alors que le gouvernement a présenté début octobre son plan de sobriété énergétique pour passer l’hiver, l’une de ses préconisations phare est de maintenir la température des pièces à 19°. « Lorsque l’on reçoit des personnes malades, des nourrissons, qu’on les déshabille pour les peser, 19° ça commence à devenir compliqué », craint le Dr Xavier Grang, vice-président de MG France. Le généraliste de Meurthe-et-Moselle s’inquiète également de coupures supérieures à six heures qui pourraient endommager le matériel stocké dans le réfrigérateur du cabinet.
Plantage
En réalité, parmi tous les spécialistes de ville, ce sont surtout les radiologues qui risquent de pâtir le plus des délestages hivernaux. « Nous sommes totalement dépendants de l’électricité, atteste le Dr Jean-Philippe Masson. En radiologie, les coupures sauvages peuvent faire des dégâts majeurs, faire planter tout le matériel », confirme ainsi le président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). Le syndicaliste cite ainsi l’exemple des appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) : « L’IRM doit toujours être alimentée en courant pour refroidir le système en faisant circuler l’hélium liquide, vous ne pouvez pas la couper comme ça, au risque d'endommager définitivement l'appareil… ».
Aussi, peu de cabinets de ville disposent d’un groupe électrogène. « Ça fait la taille d’un semi-remorque ! », rappelle le Dr Masson. Pour passer l’hiver, aucun plan national n’est prévu pour les radiologues libéraux. Seule l’ARS Auvergne Rhône Alpes « a commencé à recenser les installations de radiologie pour essayer de les protéger », indique le Dr Masson.
Des factures colossales
Si les coupures inquiètent les radiologues, les factures s’annoncent également salées pour 2023. Alors que l’énergie représente environ 1 % du chiffre d'affaires d’un cabinet de radiologie, « le montant sera multiplié par 4 à 10 », anticipe le président de la FNMR qui a réalisé une enquête nationale sur le sujet. « Un radiologue lyonnais me rapportait que sa facture - de 240 000 euros en 2022 - pourrait passer à 1,1 million d’euros en 2023 selon EDF », raconte le Dr Masson, « c'est colossal ». Scanner, IRM ou climatisation pour refroidir les machines : « difficile d’adapter notre activité au quotidien, même si nous avons passé tout l’éclairage en Led », concède encore le radiologue. Pour passer l'hiver, la FNMR a écrit mi-octobre aux ministres de la Santé et de la Transition énergétique, pour réclamer un bouclier tarifaire.
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