Dans l'Hexagone, 20 % à 30 % des dépenses de santé seraient gaspillées dans des soins non pertinents et des complications évitables. À l’origine de cette gabegie, « la surprescription d’actes inutiles, les fraudes ou les erreurs médicales », fait valoir la chaire Value in Health de la faculté de médecine de l’université Paris-Cité, qui a organisé une conférence intitulée « Transformer les systèmes de santé avec les résultats patients ». L’occasion de mettre en avant la pertinence des registres de données patient-reported outcome measures (Proms), ces indicateurs qui « mesurent le résultat patient en termes de qualité de vie et de récupération fonctionnelle », précise le Pr Grégory Katz, titulaire de la chaire Value in Health, promoteur de cette démarche.
Dans ce modèle d'évaluation des pratiques, le praticien adresse au patient un questionnaire digital (e-Prom) standardisé par SMS pour mesurer sa qualité de vie avant, pendant et après son traitement. La différence des scores « après/avant » permet de calculer le gain de santé, c’est-à-dire le bénéfice clinique du traitement. Les moyennes des gains sont ensuite comparées à travers des registres standardisés de données Proms qui, pour chaque intervention (chirurgie de la cataracte par exemple), permettent aux praticiens de s'étalonner pour progresser.
Qui se compare s'améliore
Le Pr Katz défend un « changement de paradigme » consistant ainsi à « évaluer la qualité des soins, non plus seulement à travers les moyens mis en œuvre, mais aussi à travers les résultats rapportés par le patient lui-même ». Si ces registres existent dans plusieurs pays (scandinaves, anglo-saxons), il a fallu attendre 2023 « pour commencer à parler sérieusement de ce sujet en France », constate le président de PromTime, société spécialisée dans l’évaluation des gains de santé des patients en vie réelle qui déploie en France de tels registres en ophtalmologie, orthopédie et ORL.
Celui-ci s’est inspiré du modèle suédois ayant permis de « revaloriser les actes pertinents avec les économies sur les actes non pertinents ». Dans ce pays, l'instauration d’un registre des maladies coronaires a conduit à comparer les Proms de 69 équipes hospitalières. En publiant les résultats, la moyenne des scores a bondi de 22 % en trois ans (de 2006 à 2009). « Qui se compare s’améliore et tout sujet éclairé modifie son comportement », décrypte le Pr Katz, persuadé que « la transparence est un facteur de changement rapide des pratiques ». Les autorités suédoises « investissent 70 millions de dollars par an dans les registres médicaux, ce qui génère 7 milliards de dollars par an, soit 100 fois plus en termes d’économies sur des dépenses non pertinentes », affirme le titulaire de la chaire Value in Health.
Une dynamique similaire a pu être observée au Danemark, en Grande-Bretagne mais aussi aux Pays-Bas où les scores ont progressé de 40 % en quatre ans (pour le cancer colorectal). D’autres pays ont suivi, à l’image de l’Espagne et du Portugal. Il est urgent que la France « rattrape son retard », abonde la Pr Béatrice Cochener. Depuis 2020, la présidente du CNP d’ophtalmologie déploie, pour la cataracte, un registre Proms dans le cadre d'une expérimentation « article 51 ». Les premiers résultats sont significatifs : sur la cataracte, 24 % des praticiens qui comparent les résultats Proms de leurs patients ont changé leurs pratiques dans les six mois ; et la moyenne des gains de santé s’est améliorée de 21 % en un an. Une méthodologie similaire est utilisée en ORL et en orthopédie.
Rassurer les médecins
Mais l’implémentation de ces registres nécessite de relever un double défi. Il faut non seulement « définir une méthodologie standardisée à travers une gouvernance collégiale en impliquant les patients et les professionnels » mais aussi « déployer une plateforme digitale interopérée avec les établissements de santé pour dématérialiser la collecte des données », souligne la chaire Value in Health. D’où l’importance de faire appel à un organisme tiers de confiance, y compris pour auditer avec impartialité les gains de santé. Un modèle déjà appliqué en France pour des pathologies comme la cataracte, la déficience auditive et les TMS des membres supérieurs.
Il faudra aussi lever les inquiétudes des médecins. « Certains pensent que c’est encore du temps consommé pour eux, constate le Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d’ORL. D'autres voient cela comme du flicage. » Pourtant, le CNP est propriétaire des résultats car c’est le donneur d’ordres, explique-t-il. « Les CNP doivent garder la propriété de la collecte des données, sinon rien ne sera accepté », confirme la Pr Cochener. Elle plaide pour une collecte « automatique », pour que « cela ne soit pas une nouvelle source de travail pour les médecins ».
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