ASCO 2021

Cancérologie : du neuf avec du "vieux"

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Publié le 13/09/2021
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Si le congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) n’a pas amené de grandes révolutions thérapeutiques cette année, cette édition 2021 aura mis en lumière les progrès obtenus par l’optimisation des traitements existants. Extension des indications d’un inhibiteur de PARP, élargissement des applications des thérapies ciblées, nouvelles associations immunothérapie-chimiothérapie… l’heure est à la recomposition.

Crédit photo : SPL/ PHANIE

Grand-messe annuelle de la cancérologie, le congrès de l’ASCO 2021 s’est tenu virtuellement du 4 au 8 juin.

Les inhibiteurs de PARP s’attaquent au cancer du sein

« Un des principaux moments de cette édition 2021 a été la présentation de résultats en faveur d’une extension d’indication (pour certains cancers du sein) d’un médicament de la classe des inhibiteurs de la protéine PARP, l’olaparib », affirme le Pr Christophe Le Tourneau, médecin oncologue et directeur du département d’essais cliniques précoces de l’Institut Curie (Paris). « Pour rappel, ces médicaments qui ciblent la protéine PARP, impliquée dans la réparation de l’ADN, permettent de tuer des cellules cancéreuses ayant déjà perdu par mutation un autre mécanisme de réparation de l’ADN : BRCA », explique l’oncologue. L’olaparib est déjà utilisé depuis quelques années contre le cancer de l’ovaire, chez les patientes porteuses d’un gène BRCA muté.

Or, l’étude Olympia présentée lors du congrès confirme que ce médicament a aussi un intérêt dans le traitement adjuvant du cancer du sein localisé lié à BRCA très susceptible de rechuter. En effet, cet essai international randomisé en double aveugle, conduit auprès de plus de 1 800 patientes porteuses d’une mutation germinale BRCA1/2 et présentant un cancer primitif HER2 négatif à haut risque, a montré que l’administration d’olaparib après le traitement habituel (chirurgie et chimiothérapie néo­adjuvante ou adjuvante) permet de réduire le risque de rechute à moyen terme. De fait, dans le bras interventionnel (300 mg d’olaparib matin et soir pendant un an), on observe une survie à 3 ans sans rechute de 86 %, vs 77 % dans le groupe contrôle, soit un gain statistiquement significatif. Ainsi l’olaparib pourrait-il se voir prochainement proposé en pratique courante aux femmes éligibles (voir entretien ci-dessous).

Trois questions au Dr Olivier Tredan, coordonnateur du département de cancérologie médicale du centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard (Lyon).

La présentation de l’étude Olympia a constitué l’un des temps forts du dernier congrès de l’ASCO. Qu’apporte cet essai ?

Dr Olivier Tredan : Cet essai définit un nouveau standard de traitement qui va bientôt arriver dans notre arsenal thérapeutique : l’utilisation de l’olaparib en tant que traitement adjuvant dans le cancer du sein localisé lié à BRCA, souvent triple négatif, agressif, associé à un risque de rechute important. Cela étant dit, des questions continuent de se poser. Du point de vue de l’efficacité, on ne peut pas encore affirmer que l’olaparib augmente bien la survie globale au-delà de la survie sans rechute : si un signal encourageant a été détecté, les données sont encore trop immatures pour conclure. Par ailleurs, le profil de sécurité doit être précisé. Si les trois principaux effets indésirables enregistrés pour le moment s’avèrent être une toxicité hématologique, une fatigue chronique et des troubles digestifs, le point de vigilance absolu concerne d’éventuels cancers secondaires – même si les données à 3 ans dans le cancer du sein et le recul d’utilisation dans le cancer de l’ovaire rassurent.

Comment seront sélectionnées les patientes ?

Dr O. T. : C’est une des principales questions. Car dire que seules les patientes atteintes de cancer du sein localisé porteuses d’une mutation de BRCA sont éligibles signifie qu’il faudra, pour s’assurer de leur statut BRCA, recourir en amont à l’oncogénétique. Beaucoup de femmes bénéficient déjà de ce type de consultations. Cependant, jusque-là, l’oncogénétique était surtout centrée sur du conseil familial peu urgent. Désormais, le secteur devra rendre des résultats dans des délais courts pour orienter le traitement au plus vite. Pour ne pas saturer le secteur, il faudra sélectionner les femmes à tester parmi les plus de 50 000 patientes atteintes chaque année en France d’un cancer du sein localisé. En pratique, ce seront surtout les femmes jeunes, avec un cancer triple négatif ou des antécédents familiaux de cancer du sein.

Quand ce nouveau standard de soins sera-t-il disponible ?

Dr O. T. : Si l’olaparib est déjà utilisé en France en première ligne dans le traitement du cancer de l’ovaire, il ne sera sans doute pas immédiatement disponible pour la prise en charge du cancer du sein. Car cette extension d’indication doit d’abord obtenir une AMM – qui pourrait être validée d’ici un an – avant que le prix du médicament – aujourd’hui fixé à plus de 4 500 euros par mois à la posologie de 150 mg par prise - ne soit renégocié.

L’immunothérapie pactise avec la chimiothérapie

En parallèle, le champ des thérapies ciblées continue de s’étendre. « Ces traitements qui visent directement les anomalies moléculaires spécifiques des tumeurs tendent à être utilisés de plus en plus largement, sans spécificité d’organe parfois », juge le Pr Le Tourneau.

De même, le recours à l’immunothérapie se diversifie, comme en témoignent les nombreuses communications de l’ASCO portant sur ces médicaments capables de potentialiser la réponse immunitaire antitumorale. Désormais, ceux-ci sont administrés « de plus en plus tôt dans la maladie et dans la prise en charge, parfois immédiatement après la chirurgie », résume le Pr Le Tourneau. Et ce, notamment dans le cancer du rein, mais aussi colorectal avec instabilité satellite.

L’optimisation de l’existant passe aussi par le développement de nouveaux schémas thérapeutiques. Par exemple, les oncologues expérimentent de plus en plus des associations immunothérapie-chimiothérapie, comme dans le cancer du poumon, de l’œsophage ou de l’estomac. « Et ce, contrairement à ce qui était admis jusqu’à maintenant », souligne le Pr Christophe Le Tourneau. Jusqu’à peu, la chimiothérapie, associée à une immunosuppression, et l’immunothérapie, au contraire capable de stimuler l’immunité, étaient en effet considérées incompatibles.

Une « renaissance » de la chimiothérapie

Au-delà de ces associations sont testés de nouveaux couplages chimiques : les immunoconjugués, aussi appelés anticorps armés. Le principe : coupler des chimiothérapies cytotoxiques à des anticorps monoclonaux afin d’augmenter la concentration du principe actif au niveau de la tumeur, tout en épargnant les tissus sains. « Des agents de chimiothérapie qu’on ne pouvait jusqu’à présent pas utiliser pour des raisons de toxicité ont pu être testés couplés à des anticorps monoclonaux, avec de très bons résultats, notamment dans le cancer du sein », s’enthousiasme l’oncologue, qui voit ainsi dans cet ASCO une « renaissance de la chimiothérapie ».

Des nanoparticules pour booster la radiothérapie

D’autres approches originales – visant à optimiser les traitements classiques – sont en cours de développement. En la matière, le Pr Le Tourneau évoque des stratégies fondées sur l’utilisation de nanoparticules. Le principe : injecter au sein des tumeurs une suspension d’hafnium – « métal a priori inerte mais capable de multiplier la production d’électrons suite à une exposition aux rayonnements (ionisants) » – afin d’accroître l’efficacité de la radiothérapie. « Nous avons présenté des signaux d’efficacité encourageants dans un essai de phase 1 conduit auprès d’une quarantaine de patients présentant un cancer de la gorge localisé », se félicite l’oncologue. Cette stratégie pourrait également s’avérer prometteuse en combinaison avec de l’immunothérapie, chez des patients initialement non répondeurs. « Une équipe américaine a présenté les résultats d’une étude également très préliminaire conduite auprès de patients atteints de cancer de la gorge ou du poumon métastatique » ayant déjà progressé sous immunothérapie, rapporte le Pr Le Tourneau.

En bref

Attention au surtraitement Les standards de soins doivent être respectés. Tel est le message de l’ASCO à retenir d’un choix atypique : celui de présenter en séance plénière un essai négatif dans le cancer du col de l’utérus localement avancé. Alors que, classiquement, ce genre de maladies peut être pris en charge avec succès par une radiochimiothérapie seule, certains instaurent, en prévention des récidives, une chimiothérapie additionnelle. Or, ce traitement supplémentaire n’apparaît associé à aucun gain d’efficacité, pour des effets indésirables importants.

Des espoirs pour les cancers rares C’est une bonne nouvelle pour les patients atteints de cancers particulièrement peu fréquents. « Cet ASCO a confirmé que l’on peut conduire des essais cliniques de qualité sur des maladies extrêmement rares », grâce aux groupes coopérateurs ou à des approches multicentriques internationales, se félicite le Dr Sarah Watson (Paris). Alors que moins de 2 % des cancers de l’adulte se développent aux dépens d’un tissu conjonctif, neuf présentations orales ont en effet été consacrées aux sarcomes, dont sept à certains sous-types particuliers de ce genre de tumeurs.

La piste des SPEAR T-cells Toujours sur le front des cancers rares, de nouvelles approches d’immunothérapie telles que la thérapie cellulaire adoptive pourraient s’avérer efficaces. C’est ce que suggèrent les résultats préliminaires d’un essai international de phase 2 selon lequel l’administration des SPEAR T-cells (lymphocytes T autologues modifiés in vitro pour reconnaître un antigène tumoral spécifique) à 33 patients atteints de synovialosarcome ou de liposarcome myxoïde permet un taux de contrôle de la maladie important.


Source : lequotidiendumedecin.fr