Si « Le Généraliste » était paru en avril 1916

Dakin, histoire nouvelle d'un antiseptique ancien

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Publié le 17/04/2016
Histoire

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Il n'est question, en ce moment, à l'Académie de médecine et à la Société de chirurgie et ailleurs, que du nouvel (?) antiseptique qui vient d'être mis à la mode par le chirurgien Dakin. Celui-ci vient précisément de relater dans le « British Medical Journal » les étapes de sa découverte, rendant hommage à ceux qui l'ont précédé et reconnaissant loyalement qu'il n'a apporté qu'un léger perfectionnement à un produit d'origine essentiellement française.
Le « nouvel » antiseptique fut, en effet, découvert par Berthollet, en 1788, en faisant agir le chlore sur les alcalins aqueux. En 1808, Berzélius émit l'hypothèse que le produit formé était le mélange du sel d'un acide, inconnu, du chlore, avec le chlorure de sodium. En 1834, Balard découvrit cet acide, l'acide hypochloreux, ce qui établit que le liquide de Berhollet était un mélange de chlorure de sodium et d'hypochlorite de sodium.
En 1792, les sels de potassium correspondants furent découverts par Percy, aux usines de Javel, près de Paris, en faisant passer un courant de chlore dans la potasse brute. Ce produit fut dénommé eau de Javel, et Berthollet et Guyton de Morveau en préconisèrent l'usage comme désinfectant.
En 1820, Labarraque prépara un liquide analogue à celui de Berthollet, en faisant agir le chlore (1 molécule) sur une solution aqueuse de carbonate de sodium (2 molécules). Ce liquide, renfermant beaucoup d'alcali libre, prit le nom de « Liqueur de Labarraque ». On peut noter dans l'ouvrage il écrivit, « De l'emploi des chlorures d'oxyde de sodium et de chaux » (Paris, 1825), que A.-G. Labarraque avait établi la formule d'un corps nouveau, mais en avait réglementé tous les usages, toutes les applications. Il ne se borna pas à le préconiser comme désinfectant des corps morts et putréfiés ; il en montra la grande efficacité dans le pansement des plaies gangréneuses ou de mauvais aspect, des ulcères vénériens compliqués de pourriture d'hôpital, de cancers, dartres rongeantes, teigne faveuse, ulcères à l'utérus (sic), putréfaction d'un énorme polype utérin, ulcérations de la bouche avec carie des os du voile du palais, ramollissement des gencives avec ulcérations, angine fétide, ozène, etc. Labarraque prétend même avoir rappelé à la vie des asphyxiés à la suite d'émanations retirés d'une fosse d'aisance, en leur faisant respirer le chlorure d'oxyde de sodium. Il vantait, enfin, son produit comme désinfectant des urines, eaux corrompues, etc.
Plus tard, les solutions d'hypochlorite de Na et de K furent remplacées par le chlorure de chaux solide, plus stable, combinaison de chlorure et d'hypochlorite de calcium : notons que c'est grâce à ce corps, qu'en 1846, Semmelweiss parvint à faire disparaître de sa clinique la fièvre puerpérale endémique.
Plus tard encore, la « Liqueur de Labarraque » et l'eau de Javel furent préparées par la décomposition du chlorure de chaux, au moyen des carbonates ou sulfates alcalins.
En 1859, Charles Watt découvrit que l'hypochlorite de sodium pouvait être obtenu par l'électrolyse de la solution de chlorure de sodium ; et, en 1890, Andreoli fit breveter un procédé analogue.
D'autres préparations similaires : extrait d'eau de Javel, esprit de Javel, essence e Boulogne, chlorozone d'hermitine, chloros, représentent des solutions de pureté et de stabilité variables.
L'emploi des hypochlorites gagnait du terrain : on s'en servit pour la stérilisation de l'eau, les pansements, la désinfection buccale.
Cette solution était en usage, il y a plus de 60 ans, au Saint-Thomas' Hospital, pour le pansement des moignons d'amputation. Notons, à ce sujet qu'au dire de Labarraque (op. cit.) le Professeur Marjolin, alors chirurgien en chef de l'hôpital Beaujon, aurait fait usage de son chlorure de chaux pour des affections gangréneuses, soit que cette dégénérescence se montrât à la suite de l'amputation d'un membre ou de toute autre cause. « L'éminent praticien » a observé que l'escarre se détachait promptement et que la maladie était bornée dans le plus grand nombre de cas.
Il y a une génération, le professeur Delépine en usait, pour désinfecter la peau dans son laboratoire de pathologie.
La guerre a remis les hypochlorites à l'ordre du jour, et Dakin a présenté, après de patientes études, une solution très bactéricide, peu toxique et peu irritante, obtenue en faisant agir le chlorure de Ca sur un léger excès de solution de carbonate de Na, filtrant la solution d'hypochlorite de Na, qui est neutralisée par l'acide borique de façon telle que la solution soit acide à la phtaléine de phénol, mais alcaline au tournesol.
Telle est, en résumé, l'histoire du nouvel antiseptique qui paraît appelé à occuper une place prépondérante dans le traitement des plaies infectées, car il a une réelle valeur microbicide.

(Dr Menier, « La Chronique médicale », 1916)





Source : lequotidiendumedecin.fr