Comme chaque année à la veille de la journée nationale, l’Agence de la biomédecine (ABM) rappelle l’importance de parler du don d’organes à ses proches lors d’une conférence de presse. Une majorité (80 %) des Français y serait favorable, et seulement 1 %* sont inscrits au registre national des refus. Mais sur le terrain, ce sont beaucoup plus de familles qui refusent le don d’organes de leur proche décédé « par incertitude quant aux souhaits du défunt ». Si bien que le taux d’opposition a atteint un record en 2023, en s’élevant à 36,1 % dans tout l’Hexagone, allant même jusqu’à près de 50 % dans les régions Île-de-France et Hauts-de-France.
Pour la directrice de l’ABM, la Dr Marine Jeantet, ces chiffres invitent à renforcer la filière et sensibiliser toujours plus à l’importance du don. Notamment les établissements de soin et les professionnels de santé, dont le rôle est crucial, mais qui sont eux-mêmes parfois en opposition avec le don, ou « pas proactifs ». « Comme l’a fait l’Espagne, il faut développer la culture du don et l’institutionnaliser, il faut aussi renforcer la confiance dans les institutions hospitalières, introduit-elle. C’est l’affaire de tous les établissements et de leur gouvernance : il est nécessaire de lever la pression qui existe aujourd’hui sur la filière, de libérer des équipes et des blocs dédiés ». Évoquant l'hôpital comme un levier principal, la directrice de l'ABM a présenté les établissements conventionnés pour la greffe comme le noyau d’un réseau où les sites secondaires ont aussi leur rôle d’information et de sensibilisation.
Plus de 21 000 patients en attente de greffe au 1er janvier 2024
« Au 1er janvier 2024, ce sont 11 422 patients qui sont en attente active de greffe (soit +27,6 % depuis 2018) et 10 464 en attente inactive de greffe », annonce le Pr François Kerbaul, directeur du prélèvement et de la greffe organes et tissus à l’ABM. Chaque jour, 23 nouvelles personnes sont inscrites sur liste d’attente pendant que deux à trois décèdent et que « seuls » 15 bénéficient d’une greffe. « Il y a clairement un écart entre l’offre et la demande », déplore-t-il.
Le directeur se réjouit tout de même de l’activité de l’année 2023 qui compte 5 634 greffes totales d’organes provenant de 1 791 donneurs décédés et 577 donneurs vivants. Les greffes rénales en ont représenté la plus grande part (3 525), suivies des greffes hépatiques (1 343) et cardiaques (384). De plus, en 2023, 6 679 prélèvements de cornée ont pu être réalisés, « un chiffre en nette hausse par rapport aux années précédentes ». Une augmentation qui se poursuit en 2024, puisque l’activité de prélèvement des tissus évolue favorablement par rapport à 2023 (entre +4,6 % et 48,7 %), notamment pour les vaisseaux et les valves, avec « une meilleure “adhérence” concernant les donneurs en état de mort cérébrale », précise le Pr Kerbaul.
Représentée par Bruno Lamothe, l’association Renaloo s’inquiète quant à elle de la « non-priorisation du don vivant ». Une activité qui souffre en partie de la déprogrammation des soins devant l’engorgement des structures opératoires.
Face aux idées fausses, informer
Malgré une évolution encourageante, les deux dirigeants de l’ABM déplorent le taux d’opposition encore fort qui domine la France. Avec déjà 36,8 % de taux d’opposition en ce début 2024 (janvier-mai), soit +6,5 points par rapport à la moyenne 2017-2019, « des efforts doivent être faits, particulièrement dans certaines régions, en travaillant sur les idées reçues ». En outre, un Français sur deux n’aurait jamais abordé le sujet avec ses proches.
Carine Raffestin-Garrabos, infirmière de coordination hospitalière des prélèvements et représentante de l’association française des coordinateurs hospitaliers, est formelle : « cela fait deux ans que la désinformation s’aggrave au sujet de la greffe ». Pour l’experte, le plus important est de « rassurer nos concitoyens pour leur expliquer ce qu’il va se passer après leur mort ».
En effet, seuls 24 % des Français savent que les organes et tissus ne peuvent pas servir à la science et 26 % des Français imaginent que le donneur n’est pas encore décédé au moment du prélèvement d’organes. « Beaucoup pensent que lors du prélèvement de cornée, les yeux sont enlevés », détaille-t-elle. De plus, 51 % ont en tête qu’il existe une limite d’âge pour donner ses organes. Vient également la question du religieux, puisque 38 % des Français considèrent que le prélèvement d’organes et de tissus n’est pas compatible avec les rites funéraires religieux. Et la présidente de l’ABM de rajouter que l’agence a pour objectif « d’échanger avec les autorités religieuses à ce sujet ».
Enfin, Carine Raffestin-Garrabos rappelle que chaque famille et chaque deuil sont différents et qu’il est beaucoup plus facile d’aborder le sujet du don d’organes au moment du décès s’il a déjà été amené avant. Les professionnels de santé ont un rôle à jouer dans la lutte contre la désinformation et la sensibilisation, « particulièrement en encourageant à en parler à ses proches », répète la Dr Marine Jeantet.
En parler avec les jeunes serait, selon l’infirmière de coordination, « un super levier, car ils sont à distance de la mort et n’ont pas le même tabou. Ils peuvent passer le message dans leur famille ». « Nous sommes les garants que leurs proches leur soient rendus en bon état, conclut-elle. Il faut absolument en parler avec simplicité, cela nous facilite le travail et allège les familles. Il faut les rassurer sur le fait que cela n’interférera en aucun cas avec les funérailles et avec les rites religieux. Il faut recentrer sur le défunt. »
*Chiffres du baromètre 2024 de l’ABM
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