LE QUOTIDIEN : Pourquoi cette opération ?
Dr RICHARD GASTON : Ces dernières années, la Chine a largement développé les robots chirurgicaux, notamment dans l’optique de réaliser des téléchirurgies, un enjeu pour un pays aussi vaste. À la suite de rencontres avec les équipes chinoises à Beijing, nous avons organisé deux interventions en téléchirurgie pour le congrès européen de robotique en urologie (Eurus) à Bordeaux cette année.
Le Dr Alberto Breda, chirurgien urologue et directeur de la section robotique de l’Association européenne d’urologie, a ainsi réalisé depuis Bordeaux, une néphrectomie partielle sur un patient à Beijing (Pékin, NDLR), c’était une première mondiale. À mon tour, j’ai réalisé une prostatectomie sur un autre patient chinois. Cette procédure de téléchirurgie était la deuxième réalisée au monde, la première ayant eu lieu entre Rome et Beijing en juin.
Comment s’est déroulée l’intervention ?
Mon patient avait 51 ans et un cancer bien localisé d’agressivité modérée, une opération de routine pour nous. Mon souhait était de montrer que, dans un cas assez classique comme celui-là, il était possible de faire une chirurgie très sophistiquée qui préserve une continence normale et une sexualité de bonne qualité, comme l’ont montré les suites opératoires. Pour préparer l’intervention, un chirurgien, qui connaissait nos pratiques comme celles des Chinois, est parti à Beijing, il a été notre relais. Nous nous sommes également assurés auprès de notre fournisseur que notre réseau 5G était assez stable et performant pour permettre la télé-opération.
Le jour J, j’ai ainsi opéré le patient depuis mon bureau de consultation, où la console avait été installée par l’équipe ayant conçu le robot, après m’être entraîné quelques heures la veille. En fait, utiliser un nouveau robot c’est comme changer de voiture et 10-15 minutes suffisent à en comprendre le fonctionnement ; à quelques détails près, il est comme celui que nous utilisons depuis des années.
J’ai pu échanger quelques mots avec le patient avant qu’il ne soit endormi, il semblait ravi et confiant. Durant l’intervention, le temps de latence était constamment affiché sur un écran de contrôle et en cas de problème de connexion, les équipes à Beijing dans le bloc disposaient d’une console identique à la mienne pour prendre le relais. La technologie disponible nous a permis d’avoir un temps de latence d’environ 120 ms entre Bordeaux et Beijing et, ce, en aller-retour. J’ai vraiment eu l’impression d’opérer un patient à 2 mètres de moi.
Depuis quand les robots assistent les chirurgiens ?
En 1997 à Bordeaux, nous avons mis au point la technique de prostatectomie laparoscopique, c’est un événement marquant ayant participé à développer la chirurgie mini-invasive en urologie. En parallèle, depuis près de 25 ans, la robotique s’est développée en chirurgie pour devenir aujourd’hui « de routine ».
À l’époque, nous étions les troisièmes en France à avoir un robot, aujourd’hui il y en a plus de 300 sur le territoire et de nombreux médecins y ont accès pour pratiquer la télémanipulation d’instruments pour opérer. Ces robots chirurgicaux nous permettent d’utiliser des instruments extrêmement fins, mais aussi de disposer d’axes de mobilité inaccessibles à la seule main humaine.
Les urologues ont particulièrement besoin de ces robots car ils sont adaptés à nos interventions et nous ont permis de développer la néphrectomie partielle et les chirurgies mini-invasives. Et ils gagnent peu à peu les autres spécialités chirurgicales et interventionnelles, par exemple pour la pose de stent en télémanipulation par les cardiologues sans s’exposer aux rayonnements.
La téléchirurgie, est-ce l’avenir ?
Lorsqu’il m’a été demandé de faire cette intervention, j’ai tout d’abord interrogé le conseil de l’Ordre puis le comité d’éthique. Tous deux ne disposaient d’aucun référentiel, car le seul historique disponible était celui du Pr Jacques Marescaux qui, en 2001, avait retiré depuis New York la vésicule d’une patiente à Strasbourg, c’était l’opération Lindbergh. À l’époque, le temps de latence était tel qu’il était impossible de réaliser un geste chirurgical complexe.
Il y a aujourd’hui un vide complet qu’il nous faut combler, car je pense que nous sommes à l’aube de généraliser ces téléchirurgies. Je ne sais pas quand ni comment, mais techniquement nous pouvons le faire.
J’y vois deux avantages. Évidemment, il y a la possibilité de gommer les distances et de pouvoir faire bénéficier un patient d’une chirurgie réalisée par les médecins les plus expérimentés. Mais c’est surtout pour l’apprentissage que la téléchirurgie est intéressante en permettant d’assister des chirurgiens dans des opérations complexes.
Sans compter que la téléchirurgie, grâce aux robots, nous aide à standardiser les gestes et à les rendre de plus en plus précis et reproductibles. Le niveau du chirurgien moyen a ainsi considérablement évolué avec une meilleure gestuelle. Ainsi, le Pr Marescaux, à l’Ircad (Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif, NDLR), forme les chirurgiens à la robotique et nos étudiants suivent un enseignement durant leurs études.
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