S’il y a quelques mois, les Panama Papers ont fait trembler le monde de la finance, la publication récente de l’enquête des “Implant Files” a quelque peu secoué l’univers de la santé, et principalement nos autorités sanitaires. Car ce qu’il ressort surtout de ce travail effectué par plus de 250 journalistes de 59 médias de 36 pays, dont Le Monde, Radio-France et Premières Lignes (Cash investigation), c’est le manque de contrôle des dispositifs médicaux à tous les niveaux, avant leur commercialisation comme après leur utilisation. Le problème concerne principalement les pacemakers, prothèses, stents, défibrillateurs et autres implants en tout genre. Il ne faut pas croire que le mal soit franco-français, comme le montre le travail de ce consortium international de journalistes. Tous les pays sont plus ou moins concernés.
Marquage CE... pour un filet à mandarines comme implant périnéal !
Ce qui a allumé la mèche ? Une première enquête, par journaliste néerlandaise, Jet Schouten, qui avait effectué les démarches pour certifier un filet à mandarines comme implant périnéal. Elle a soumis un dossier comportant de nombreuses erreurs ou incohérences à trois organismes chargés des vérifications nécessaires. Ceux-ci lui ont donné trois approbations de principe pour un marquage CE. Et donc la possibilité de le mettre sur le marché européen. L’argument suffit pour lancer une enquête journalistique internationale et montrer au passage que ces dispositifs ne sont pas sans danger.
“Implant Files” indique en effet qu’en 2017, l’ANSM a relevé en France 18 208 incidents liés à des dispositifs médicaux. Et environ 158 000 en dix ans. Depuis 2008, leur nombre global a doublé. Mais pour les auteurs de cette enquête, ces chiffres sous-évaluent la situation. Car en réalité, les effets indésirables liés à ces dispositifs médicaux sont généralement peu déclarés.
En septembre dernier, lors de la remise d’un rapport relatif à l’amélioration de l’information sur le médicament, Agnès Buzyn regrettait d’ailleurs la faible implication des médecins dans la déclaration d’effets indésirables liés aux médicaments ou aux dispositifs médicaux via un portail ouvert en 2017. Elle avait alors déclaré vouloir prendre des mesures incitatives à destination des praticiens.
Pour le contrôle des dispositifs médicaux en amont comme en aval de leur commercialisation, les démarches sont régies par des directives européennes au niveau de chaque état membre. En France, elles sont encadrées par l’ANSM et la Haute autorité de santé (HAS). à commencer par l’enregistrement obligatoire des dispositifs médicaux de classes IIA, IIB et III auprès de l’Agence du médicament. En plus d’avoir mis en place une base de matériovigilance, cette agence mène des investigations de matério-épidémiologie, des enquêtes proactives sur des classes de produits, comme pour les implants dentaires, les stents… (lire l'interview de Dominique Martin).
L’encadrement de la HAS
L’ANSM fait surtout figure de “caisse enregistreuse” vis-à-vis des dispositifs médicaux, y compris implantables. La HAS réalise quant à elle de véritables évaluations cliniques, en vue du remboursement. Elle « évalue la quasi-totalité des dispositifs médicaux implantables », a affirmé Agnès Buzyn sur France Inter. De même que la commission de transparence juge l’amélioration du service rendu (ASMR) d’un médicament, la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) évalue l’amélioration de leur service attendu.
Cependant, seuls les dispositifs candidats à une inscription “sous-nom de marque” sur la liste des produits et prestations remboursables passent sous les fourches caudines de l’institution. Dans certains cas, comme pour les lunettes par exemple, « nous évaluons le bien-fondé du dispositif en général (ligne générique) mais pas chaque dispositif, indique Dominique Le Guludec, présidente du Collège de la HAS. À l’industriel de savoir s’il répond à la définition du cadre générique. Nous n’examinons donc pas tous les dispositifs, mais pour ceux qui arrivent chez nous, nos services font un travail assez exhaustif ». En 2017, la CNEDiMTS a rendu 240 avis. 87 % des dispositifs évalués ont obtenu un avis favorable au remboursement.
Une nouvelle législation appliquée en 2020
Fait nouveau, la révision de la législation européenne adoptée en 2017 sur les dispositifs médicaux sera appliquée en 2020. Elle devrait permettre une plus grande transparence et évaluation du bénéfice/risque, une meilleure traçabilité et une surveillance renforcée après la mise sur le marché. Ainsi, pour les dispositifs de classe III correspondant aux implants, les prochaines mesures prévoient des essais cliniques dont les résultats seront validés par des experts européens. Une plus grande rigueur sera aussi exigée de la part des organismes avalisant le marquage CE, avec un cahier des charges plus strict et exhaustif sur leur travail d’évaluation et de contrôle des fabricants.
La mise en place d’EUDAMED est aussi prévue. Cette base de données permet un enregistrement centralisé des dispositifs médicaux où chacun d’eux aura un identifiant unique, pour optimiser la traçabilité. « Les informations concernant la notice, les essais cliniques et les effets indésirables seront colligés dans cette base de données européenne », a indiqué l’ANSM au Généraliste. L’enregistrement par les fabricants des dispositifs médicaux ne se fera pas avant 2020. Les autorités sanitaires françaises insistent auprès de l’Europe pour que la base de données EUDAMED soit d’accès public.
En plus de pointer du doigt une mauvaise traçabilité des implants, “Implant Files” souligne un défaut d’information des patients. D’après Le Monde, « une enquête menée en 2014 par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) montre par exemple qu’en Île-de-France, moins d’un établissement sur deux dispose d’un document précis à remettre aux malades à leur sortie. » Aujourd’hui, il est normalement prévu que le fabricant mette à disposition un formulaire à compléter par le professionnel de santé qui doit en remettre une copie au patient. Pour prévenir le manque de traçabilité, l’Europe prévoit la généralisation des cartes patient, sortes de carte d’identité intégrant les informations du dispositif pour les porteurs d’implants. Elles comportent un marquage par code-barre, un numéro de série, un numéro d’identifiant unique.
En dehors de l’enquête “Implant Files”, des améliorations concernant l’évaluation et la surveillance de ces dispositifs médicaux s’avèrent plus que jamais nécessaires, surtout avec l’arrivée d’innovations comme les nanomatériaux ou les dispositifs informatiques miniaturisés.
Les implants mammaires sur la sellette
4 jours avant la publication de l’enquête « Implant Files », la sécurité des implants mammaires était à nouveau questionnée par l’Ansm. En cause, la survenue de rares cas de « lymphomes anaplasiques à grandes cellules, liés aux implants mammaires » (ou LAGC-AIM) avec au 21 novembre, 53 cas confirmés en France depuis 2011. Les investigations de l’Agence pointant une surreprésentation des implants texturés dans ces cas de LAGC-AIM, l’Ansm préconise de privilégier les implants lisses et lance une audition publique avant de statuer définitivement. Autres dispositifs dans le viseur del’Ansm les bandelettes et implants de renfort pelvien implantables pour lesquels l’agence appelle à « déclarer les éventuels effets indésirables ».
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