Quand l'écrivain fut conduit à la maison du Dr Blanche et confié au Dr Meuriot, ce n'était plus Maupassant. Sa raison était absolument et irrémédiablement sombrée ; aucun espoir de sauver son esprit ne restait plus et, s'il était mené là, c'était seulement pour qu'il y vécût en paix ses derniers mois de vie animale, au grand air et sans crainte d'accident. Les dernières lettres qu'il ait écrites datent de cette époque. Ces lettres sont, paraît-il, extrêmement curieuses car elles marquent les divagations folles de l'écrivain dont l'esprit battait la campagne : sa plume allait, allait… et de déraisonnement en déraisonnement la pensée aboutissait à des conceptions fantastiques. Le Dr X., ami du malade, possède quelques-unes de ces curieuses lettres et songeait même à les publier jadis, lorsque la famille s'y opposa.
À la maison Blanche, Maupassant arrive donc lorsque sa raison est perdue. Les jours qui suivent son entrée dans l'asile, des artistes et des littérateurs se présentent qui souhaitent vivement le voir et se disent ses amis, ses camarades. Comme le pauvre malade est calme, on lui remet les cartes et on lui dit : " Ce sont des amis. Ils doivent revenir. Voulez-vous les recevoir ? " Il repousse les cartes et murmure en secouant la tête : " Connais pas… connais pas ! " Une fois, le Dr Meuriot insiste pour l'un des visiteurs et ajoute ; " C'est un journaliste. Voulez-vous qu'il vienne ? " Alors le malade regarde avec colère la carte et répète plusieurs fois : " Bel Ami… Bel Ami ! " Impossible d'obtenir autre chose ; on suppose qu'il voulait dire qu'il ne pouvait souffrir les journalistes et que Bel Ami en témoignait.
Comme il était absolument incapable d'écouter une conversation ou de dire deux phrases, on n'insista pas et il ne vit personne. D'ailleurs, il ne tenait que des propos incohérents, ne pouvant associer ses idées. Souvent, il disait : " La gare Saint-Lazare… Les ingénieurs de la gare Saint-Lazare… " Et comme on voulait qu'il s'expliquât, il répétait encore cinquante fois ces mêmes mots sans qu'on pût obtenir autre chose. Il n'écrivait pas, ne lisait même pas. Une seule fois il prit une plume, une feuille de papier blanc ; on pensa qu'il allait peut-être s'exprimer. Mais il traça cinq à six mots inconnus, des syllabes accouplées sans aucune signification. Et ce fut tout !
Il ne voulut point manger les premiers temps qu'il passa chez le Dr Blanche. Il répétait : " Poison… poison ! " et croyait qu'on allait l'empoisonner. Il ne touchait aux aliments que lorsque, anéanti par la fatigue, brisé, il n'avait même plus la moindre pensée en son pauvre cerveau vide ; ou il ne pensait pas, ou il pensait des folies. Par exemple, il affirmait que la vie ne lui était pas possible dans ce couvent de Génovéfains où on le cloîtrait et sans cesse il maudissait ces Génovéfains qui le tyrannisaient. Il repoussait les boissons, le lait notamment, et prétendait que c'était du… de Génovéfains. Cependant, sa folie était calme. Il ne fut jamais furieux, ni même méchant. Aux heures des repas seulement, il manifestait quelque mauvaise humeur et plusieurs fois frappa son gardien avec sa fourchette.
Mais il se promenait dans le parc très paisiblement et semblait ne penser à rien. Jamais, d'ailleurs, il ne bêcha la terre ainsi qu'on l'a raconté ; et il ne fit aucun travail. Quant à la vie extérieure, il ne s'en préoccupait nullement. Il ne se rappelait pas où ni comment il avait vécu ; il ne savait plus.
(Le Progrès médical, 1898)
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