Faudrait-il que les médecins s'enquièrent systématiquement du sommeil de leurs patients, comme ils le font pour l'activité physique, l'alimentation ou la consommation d'alcool et de tabac ? C'est l'avis unanimement partagé des spécialistes du sommeil, tant les preuves du rôle essentiel du sommeil à la santé ne cessent de se multiplier dans les publications scientifiques.
« Il y a une prise de conscience en médecine de l'importance du sommeil », explique le Pr Pierre Philip, directeur du service Sommeil, Attention, Neuropsychiatrie (SANPSY) au CHU de Bordeaux. La chronothérapie revient à l'honneur, comme en témoigne le prix Nobel en 2017 pour la découverte des gènes de l'horloge.
« La physiologie des organes n'est pas la même la nuit qu'à l'état de veille, poursuit Pierre Philip. La médecine du sommeil est une spécialité à part entière. La mise en place à la rentrée d'une formation spécialisée transversale (FST) à 10 disciplines du DES - dont l'ORL, la gériatrie, la pédiatrie, la psychiatrie, la médecine cardio-vasculaire, la médecine du travail - va en ce sens ».
Diabète de type 2, obésité, événements cardio-vasculaires, troubles dépressifs et infection, de multiples maladies sont associées de manière avérée à un mauvais sommeil. Des données préliminaires suggèrent aussi un lien avec le cancer (le sein en particulier) et possiblement avec les maladies neurodégénératives, dans la maladie de Parkinson (via les troubles du comportement moteur lors du sommeil paradoxal) et la maladie d'Alzheimer (sommeil lent profond et plaques séniles bêta amyloïdes et tau).
Un nouveau facteur de risque cardiovasculaire
« Le sommeil est un nouveau facteur de risque cardiovasculaire », souligne Brice Faraut, chercheur en neurosciences au centre du sommeil et de la vigilance à l'Hôtel-Dieu (Paris, AP-HP). La dette de sommeil favorise la prise de poids et l'obésité, via une inflammation à bas bruit, et ce « dès l'enfance », relève le Dr Céline Martinot, psychiatre spécialisée des troubles du sommeil et coordinatrice du réseau Morphée. « Il faut sensibiliser les services de nutrition à l'importance de bien dormir », souligne-t-elle.
C'est un facteur d'athérogenèse en soi, « comme l'a montré une étude chez des actifs de 25-40 ans, poursuit-il. Un temps court de sommeil est associé à davantage de calcifications coronariennes au coroTDM ». L'athérogenèse pourrait s'expliquer par le stress oxydatif, un système de détoxification pris de court et par un stress lié aux catécholamines et au cortisol plus élevé. « Le sommeil lent profond est important pour le risque cardio-vasculaire », poursuit le chercheur.
L'immunité subit quant à elle l'influence de la privation de sommeil, via les neutrophiles et les cellules NK. « Le milieu hormonal lors du sommeil avec la prolactine et l'hormone de croissance favorise la mémoire immunitaire, explique Brice Faraut. Les études montrent que les sujets en privation de sommeil se défendent moins bien suite à l'exposition à un rhinovirus et que la réponse anticorps suite à l'injection d'un vaccin contre l'hépatite B est 50 % moins forte ».
Troubles psychiatriques de l'adulte et de l'enfant
Le manque de sommeil favorise la survenue de troubles anxiodépressifs et de troubles de l'humeur. « Le lien de causalité est à double sens, indique Céline Martinot. Les troubles du sommeil peuvent être à la fois des signes précurseurs de décompensations maniaques ou dépressives mais aussi des facteurs favorisants ». Le syndrome d'apnées du sommeil est un facteur de risque reconnu de maladie bipolaire, « la physiopathologie récemment mieux comprise repose sur une boucle inflammatoire », précise Pierre Philip.
Chez les enfants, les troubles du sommeil peuvent entraîner un retard de croissance, une prise de poids, un déficit de l'attention et de troubles anxieux, « la dépression étant très rare à cet âge », rappelle la psychiatre. À l'inverse chez les adolescents, le manque de sommeil est un « facteur de fragilisation supplémentaire vis-à-vis des risques de troubles dépressifs et d'entrée dans les addictions », souligne-t-elle.
Alors que les risques pour la santé liés au manque de sommeil sont de mieux en mieux documentés, - sans compter le risque d'accidents, « cause n° 1 sur les autoroutes », rappelle Pierre Philip -, le sommeil est négligé et malmené dans nos sociétés modernes, comme s'en est fait l'écho le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH). Temps de transport à rallonge et surexposition aux écrans raccourcissent d'année en année le temps de sommeil. Pourtant « le déclin de sommeil en France n'est pas une fatalité », comme l'est-il développé dans l'éditorial.
« Chez les adolescents, il existe un retard de phase physiologique lié à la sécrétion de mélatonine, souligne Céline Martinot. Naturellement, les jeunes vont se coucher plus tard, et la surexposition aux écrans retarde encore l'endormissement. La dette de sommeil s'alourdit, d'autant que les lycéens commencent tôt à 8 h 00 et sont parfois dans le bus dès 6 h 00-7 h 00 en province ». Une proposition de loi est à l'étude au Parlement pour décaler d'une heure le début des cours des lycéens et des étudiants.
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