Fait rare, France Assos Santé a exercé son droit d’alerte auprès de la Haute Autorité de santé (HAS). Dans une requête datée du 5 avril, l’organisme de défense des usagers réclame des recommandations de prise en charge des victimes des effets indésirables graves des fluoroquinolones. La démarche intervient peu après l’ouverture d’une enquête par le pôle santé publique du parquet de Paris, à la suite de plusieurs plaintes contre X déposées par des patients.
Au-delà des tendinites et ruptures de tendons, cette classe d’antibiotiques (ciprofloxacine, délafloxacine, lévofloxacine, loméfloxacine, moxifloxacine, norfloxacine, ofloxacine) peut entraîner « des troubles musculosquelettiques avec invalidité, des neuropathies périphériques, des troubles neurologiques et psychiatriques, des troubles auditifs, des problèmes cardiaques, etc. », liste France Assos Santé.
La pluralité des effets secondaires méconnue
Les victimes « dont la santé et le quotidien se sont détériorés de manière intolérable » restent souvent sans solutions, dénonce l’association. « Les pathologies consécutives à la prise de fluoroquinolones sont très souvent incomprises du corps médical, voire niées par une large partie des médecins qui n’ont pas de protocole établi pour la prise en charge des personnes qui en souffrent », est-il expliqué dans un communiqué. Les médecins ont ainsi « trop souvent tendance à prescrire des traitements potentiellement toxiques pour les métabolismes des victimes durablement endommagés par les fluoroquinolones, à l’instar de la cortisone connue pour réactiver à distance les effets indésirables des antibiotiques appartenant à cette famille, voire les aggraver. »
Le besoin de protocoles de prise en charge est aussi le cheval de bataille de l’association d’aide et d’information sur les effets délétères des fluoroquinolones. Son président, Philippe Coville, plaide pour « la création d’un centre de compétences, à l’image de ce qui se fait pour les maladies rares ». Les témoignages recueillis révèlent le sentiment d’abandon des victimes. « Leur vie est broyée et la communauté médicale les laisse seuls », rapporte cet ingénieur, lui-même victime d’effets graves depuis deux ans et demi, à la suite d'une infection urinaire simple traitée par cette classe d’antibiotiques.
Appel à un « changement de paradigme » dans les prescriptions
Surtout, l’association appelle à un « changement de paradigme » dans les prescriptions de cette classe d’antibiotiques, en conformité avec les exigences européennes. Depuis 2019, l’Agence européenne du médicament (EMA) a introduit des restrictions d’utilisation « en raison du risque d’effets secondaires invalidants, durables et potentiellement irréversibles ». Si, depuis, l'utilisation de ces antibiotiques a reculé sur le continent, « ces médicaments peuvent toujours être prescrits en dehors de leurs utilisations recommandées », déplorait une étude de l’EMA publiée en mai dernier.
En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a plusieurs fois communiqué auprès des médecins en leur rappelant les restrictions d’indications. « Depuis 2018, six courriers d’alerte ont été adressés aux médecins, sans vraiment d’effet sur la surprescription », précise Philippe Coville. Dans une lettre aux professionnels publiée en juin 2023, l’ANSM insistait de nouveau sur « le risque d'effets indésirables graves et durables (durant plusieurs mois ou années), invalidants et potentiellement irréversibles, affectant principalement le système musculosquelettique et nerveux. »
Ces alertes ont eu un effet modeste sur les prescriptions en France. « Une légère baisse a été observée, mais il y a toujours en France deux fois plus de prescriptions de fluoroquinolones qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni », indique Philippe Coville. Il ne s’agit « pas d’interdire » ces traitements, rassure-t-il, mais bien de limiter leurs usages aux indications restreintes prévues par les autorités européennes, de ne pas négliger une évaluation sérieuse de la balance bénéfices-risques et de fournir une information suffisante aux patients pour permettre une décision éclairée. « On peut imaginer la mise en place d’un document d’information partagée à faire signer aux patients avec un contrôle des pharmaciens, comme c’est le cas pour certains antiépileptiques », suggère-t-il.
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