Les résistances au traitement des cellules cancéreuses sont multiples, imprévisibles et mènent souvent à l’impasse thérapeutique : si attendre d’identifier une résistance est nécessaire pour mettre en place un autre traitement, cela laisse le temps à une résistance secondaire d’apparaître.
Dans une étude expérimentale, des chercheurs américains proposent un mécanisme pour tuer dans l’œuf les résistances émergentes à l’aide de cellules tumorales génétiquement modifiées. Dotées d’un circuit modulaire de deux gènes, introduit par vecteur, elles doivent prendre le pas sur les cellules nativement résistantes puis émettre une toxine éradiquant toutes les cellules cancéreuses.
Une résistance contrôlée
Le mécanisme à l’œuvre, détaillé dans l’article publié dans Nature Biotechnology, permet un contrôle total de l’état des cellules tumorales modifiées. Activé par un inducteur de dimérisation, le premier gène (switch 1) les rend d’abord temporairement résistantes au traitement. Ainsi, elles créent une pression de sélection qui favorise leur croissance par rapport à d’autres cellules avec de nouvelles résistances.
Une fois les cellules sensibles tuées et l’amplification d’autres cellules cancéreuses restreinte, le retrait de l’inducteur de dimérisation rend les cellules tumorales modifiées à nouveau sensibles au traitement. Ensuite, une molécule « inoffensive » est administrée et le second gène (switch 2) permet de la transformer en une toxine qui, une fois émise par les cellules génétiquement modifiées, les tuera elles-mêmes ainsi que les cellules natives environnantes. « C’est ce mécanisme qui est critique : la population nativement résistante est celle qu’on souhaite éliminer pour s’assurer que la tumeur ne réapparaisse pas » explique Justin Pritchard, ingénieur biomédical à l’Université Park et auteur correspondant de l’étude, dans un communiqué. Un intérêt supplémentaire du switch 2 est sa proximité physique à l’environnement tumoral : la concentration de la toxine peut y être plus élevée de manière sûre pour le patient, comparé à une administration systémique.
Chaque gène a été éprouvé individuellement, puis de concert, dans des lignées cellulaires de cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC). Le principe actif testé est l’erlotinib, traitement de première ligne du CPNPC souvent sujet à des résistances. Le premier switch a bien démontré sa capacité à rendre les cellules tumorales modifiées résistantes au traitement en présence de l’inducteur de dimérisation et sensibles en son absence. A aussi été mis en évidence le caractère incontournable du switch 1 : sans cette première phase de prolifération contrôlée, la toxine ne suffit pas à éradiquer la population de cellules cancéreuses subsistantes.
Une efficacité sur un large spectre de résistances
Afin de s’assurer que la solution fonctionne dans plusieurs traitements et lorsque plusieurs résistances cohabitent, les scientifiques ont éprouvé leur système sur une librairie génétique de variants de résistance. Ils ont démontré sa flexibilité en développant un nouveau switch 1 permettant une résistance contrôlée au pralsetinib, molécule utilisée dans les CPNPC et les cancers de la thyroïde.
Imaginant toujours plus de souplesse dans la technique, les chercheurs ont aussi expérimenté un gène alternatif pour le switch 2, permettant de générer une autre toxine si une résistance à la première est constatée. Le circuit est aisément modulable selon le contexte et permet de mettre en jeu de multiples gènes pour couvrir un large spectre de résistances.
Quelle durée de recouvrement entre les switchs ?
Une inconnue reste la composition native de la tumeur. Il faut envisager la situation où une grande part des cellules natives sont déjà résistantes (cette fois, sans mécanisme de contrôle) : dans ce cas, les cellules modifiées ne réussiraient pas nécessairement à dominer les autres. Des modélisations mathématiques et des tests in vivo sur des souris suggèrent qu’un recouvrement entre les deux switchs (à savoir, maintenir la résistance à la chimiothérapie tout en libérant la toxine) serait bénéfique.
Le cadencement d’activation des différents gènes devra certainement être adapté dans d’autres études pour répondre individuellement aux dynamiques des tumeurs. Toutefois, même une approche très généraliste a drastiquement amélioré la survie des souris testées avec une mortalité médiane à 57 jours dans le bras contrôle alors que le groupe avec la nouvelle thérapie a survécu jusqu’à la fin de l’étude. Dernier aspect rassurant quant à la sûreté de la technique : aucun changement de poids n’a été observé sur les souris traitées, ce qui suggère l’absence de toxicité systémique associée au second switch.
« J’adore l’idée d’utiliser l’inévitabilité de l’évolution tumorale contre les cancers », se félicite Justin Pritchard. Les chercheurs se concentrent à présent sur la manière de délivrer le circuit génétique aux tumeurs, y compris dans les cancers métastatiques. Un défi de taille à relever avant d’envisager une application clinique.
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