L’hypothèse selon laquelle la dépression serait liée à un déficit de sérotonine n’est toujours pas prouvée. Telle est la conclusion d’une revue systématique de la littérature de type parapluie publiée le 20 juillet dans la revue Molecular Psychiatry - du groupe Nature - et signée notamment par des cliniciens issus d'un réseau de psychiatres sceptiques connus pour questionner ce type de théories.
« L’idée selon laquelle la dépression serait le résultat d’anomalies chimiques cérébrales concernant en particulier la sérotonine (5-hydroxytryptamine, ou 5-HT), a été prégnante pendant des décennies, et fournit (encore) une justification importante à l’utilisation d’antidépresseurs », rappellent les auteurs du présent travail. Selon eux, nombre d’ouvrages de référence et de chercheurs soutiendraient cette hypothèse sérotoninergique, également répandue parmi les médecins généralistes.
Cependant, cette supposition d’une origine sérotoninergique de la dépression est historiquement très théorique. En fait, comme l’explique au Généraliste le Pr Florian Ferreri, psychiatre à l’hôpital Saint Antoine (AP-HP) qui n'a pas contribué à l'article, cette assomption a initialement été formulée face à certains antidépresseurs – par ailleurs identifiés comme capables d’inhiber la recapture de la sérotonine. « L’apparente efficacité des inhibiteurs sélectifs de la sérotonine (montrerait) que (le neuromédiateur) est impliqué », soulignent les auteurs.
Une théorie encore difficile à prouver
Ainsi, des cliniciens et chercheurs anglais, italiens et suisses – comptant parmi leurs rangs Joanna Moncrieff et Tom Stockmann, qui président le Critical Psychiatry Network, connu pour « remettre en cause certaines des hypothèses les plus profondément ancrées de la psychiatrie (conventionnelle) » – ont voulu savoir si cette thèse sérotoninergique peut se vérifier en pratique. « Nous avons cherché à établir si les preuves actuelles soutiennent un rôle de la sérotonine dans l’étiologie de la dépression, et plus précisément si la dépression est associée à des indices d’une concentration ou d’une activité sérotoninergiques abaissées ».
Pour ce faire, les auteurs ont conduit une revue systématique de la littérature de type parapluie. Autrement dit, ils ont réalisé « une synthèse des synthèses de la littérature déjà existantes en ne retenant que les études chez l’Homme », résume le Pr Ferreri. Si, dans ce cadre, les chercheurs se sont penchés sur des articles portant sur la concentration en sérotonine, en ses précurseurs (comme le tryptophane) ou en ses métabolites chez les sujets atteints de dépression, de même que sur les niveaux d’activité ou d’expression des récepteurs ou d’un transporteur du neuromédiateur chez les malades, ils n’ont inclus aucun essai clinique, aucune étude centrée sur l’efficacité des antidépresseurs.
Résultat : « notre revue complète des principaux axes de recherche sur la sérotonine montre qu'il n'y a aucune preuve convaincante montrant que la dépression est associée à des concentrations ou une activité sérotoninergiques abaissées », concluent les auteurs. Autrement dit, l’hypothèse sérotoninergique de la dépression reste « difficile à mettre en évidence », détaille le Pr Ferreri.
Un faible niveau de preuve
De fait, aucune des publications sélectionnées par les auteurs n’a pu montrer clairement une implication du système sérotoninergique dans la dépression. « La plupart des études n’ont trouvé aucune preuve d’une activité sérotoninergique diminuée chez les sujets souffrant de dépression en comparaison aux personnes ne présentant pas de dépression, et des méthodes de réduction de la disponibilité de la sérotonine fondées sur une déplétion en tryptophane n’ont pas significativement touché l’humeur des volontaires », expliquent-ils. Et des études génétiques ont « exclu » une potentielle association entre affection génétique touchant le système sérotoninergique et dépression. « Certaines études sur les récepteurs de la sérotonine et les niveaux de (transporteur) indiquent une possible association entre dépression et augmentation de l’activité sérotoninergique », rapportent même les auteurs, qui reconnaissent le faible niveau de preuve associé à ces travaux.
D’ailleurs, ce faible niveau de preuve affecterait de nombreuses études. « Les auteurs expriment clairement un défaut de qualité de certaines études, conduites sur des échantillons trop peu vastes ou auprès de sujets recrutés sans précision sur une utilisation ultérieure d’antidépresseurs, etc. », observe le Pr Ferreri. Les chercheurs ont également dû s’appuyer sur des études relativement datées, faute de travaux plus récents sur le sujet.
Pour autant, l’hypothèse sérotoninergique de la dépression n’est pas à abandonner définitivement. « Ce que dit ce papier, par ailleurs publié dans une très bonne revue, c’est que l’hypothèse sérotoninergique, bien que très ancrée, mérite encore d’être affinée, de faire l’objet de nouvelles études », souligne le Pr Ferreri.
Un article qui ne remet pas en cause l'efficacité des antidépresseurs
En attendant, pour le psychiatre français, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) peuvent continuer d’être utilisés. « Cet article ne porte pas sur l’efficacité des antidépresseurs », insiste-t-il.
Et face aux patients demandeurs d’explications sur l’étiologie de leur maladie ou sur le mode d’action de leurs médicaments, la théorie sérotoninergique peut être nuancée. « Il ne s’agit que d’une hypothèse parmi d’autres, car on sait depuis longtemps que d’autres mécanismes peuvent aussi potentiellement être en cause dans la dépression » – comme une atteinte d’autres neuromédiateurs (noradrénaline, dopamine ou GABA) ou de la neuroplasticité cérébrale –, indique le Pr Ferreri.
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