One health : la vétérinaire qui tente de pousser les portes de la médecine

Publié le 08/02/2025
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Valérie Freiche, praticienne hospitalière à l’école nationale vétérinaire d’Alfort et détentrice d’un doctorat Recherche Clinique en Médecine comparée, à l’Institut Imagine, a décidé de faire un pont entre médecine interne vétérinaire et médecine humaine. Entretien.

LE QUOTIDIEN : Vétérinaire de formation initiale, qu’est ce qui vous a poussé vers la médecine humaine ?

VALÉRIE FREICHE : J’ai intégré l’école nationale vétérinaire d’Alfort. J’ai créé la première consultation vétérinaire spécialisée de gastro-entérologie en France. Caractériser des maladies émergentes et faire le pont entre plusieurs espèces me passionne. Par la suite, j'ai eu envie de faire plus de recherche clinique. J'ai longtemps pensé que je n'avais pas les compétences pour. J'ai aussi mis plus de dix ans à trouver un interlocuteur en médecine qui s'intéresse à la médecine comparée. C'est ainsi que j'ai rencontré le Pr Olivier Hermine qui a accepté d'être mon directeur de thèse, et nous avons travaillé sur une maladie intestinale lymphoproliférative chez le félin, une maladie rare et sous diagnostiquée chez l’Homme. Dans ce contexte, j’ai obtenu un Phd [doctorat], encadré uniquement par des médecins et codirigé par des chercheurs de l’Institut Imagine dont le Pr Hermine et la Dr Lucie Couronné pendant trois ans.

Vous avez décidé de créer un hôpital One Health. Quel est son objectif ? Comment fonctionnera-t-il ?

La particularité de ce projet hospitalier vétérinaire, l’Hôpital Vétérinaire de la Méditerranée, construit à La Turbie dans les Alpes Maritimes, est de développer les connaissances médicales, de mettre à profit tout un panel de spécialistes pour la santé animale et humaine. Cette philosophie d’étude collaborative a pour objet d’être bénéfique aux deux espèces. Certaines maladies communes ont une incidence plus élevée chez les animaux de compagnie et peuvent donc faire avancer la recherche chez l’humain, notamment en permettant d’accéder à plus de prélèvements. Dans le cas d’une étude prospective, nous pouvons, avec l’accord des propriétaires d’animaux, faire des prélèvements plus importants afin de mettre en place des protocoles d’étude communs entre les vétérinaires et les médecins. Ils seront bien évidemment sous l’égide d’un comité d’éthique.

Créer des passerelles est déjà une des choses que je pratique. Récemment nous avons travaillé avec le Pr Henri Duboc, gastro-entérologue et hépatologue à l’Hôpital Louis Mourier afin de caractériser le syndrome dyspeptique.

L’année prochaine, je soutiendrai mon habilitation à diriger les recherches pour promouvoir la recherche entre les maladies humaines et animales dans une vision One Health, afin que les vétérinaires volontaires soient en contact avec des équipes de recherche et aient accès à des passerelles avec des thématiques de recherche et un encadrement plus structuré.

Je souhaite montrer aux médecins que nous pouvons apporter une pierre sur le mur de la connaissance, faire évoluer les données afin de mettre en place un réseau efficace menant à des publications scientifiques d'intérêt public.

Dans quelle mesure la médecine animale apporte-t-elle des réponses aux pathologies humaines ?

Les deux milieux évoluent de manière très hermétique, avec des images préconçues l’un envers l’autre, parfois infondées. L’une des missions auxquelles je me suis attachée consiste justement à créer des passerelles entre ces deux univers qui se méconnaissent encore. Les animaux domestiques, notamment les carnivores comme le chien et le chat, présentent des maladies spontanées. Ce sont des sentinelles pour la santé humaine. Ce ne sont pas, de fait, des espèces génétiquement manipulées comme l’est la souris. De plus, ils vivent dans le même micro-environnement que l'homme, avec une espérance de vie raccourcie. Cela permet d'étudier une maladie sur tout son cours évolutif. Ces modèles sont à explorer. Beaucoup de maladies spontanées chez le chien et le chat peuvent être l'objet d'études notamment en oncologie et apporter des connaissances pour la recherche chez l'homme. Par exemple la maladie lymphoproliférative digestive diffuse de bas grade chez les félins est un modèle pertinent des "GI-PLDs de phénotype T" de l'homme.

Que peut apporter la médecine comparée dans la prévention des épidémies ?

Un rapprochement entre médecins et vétérinaires est extrêmement bénéfique pour mieux comprendre et contrôler les zoonoses. Le concept "One Health/une seule santé" reconnaît que la santé humaine est étroitement liée à la santé animale et à l'environnement. En travaillant ensemble, médecins et vétérinaires améliorent la surveillance des maladies, accélèrent la validation de tests diagnostics et optimisent les réponses aux épidémies. Cela permet non seulement de contrôler plus efficacement les maladies comme le H5N1, mais aussi d'anticiper et de prévenir de futures épidémies zoonotiques comme celle que nous avons connue au cours des dernières années.

Comment se mettent en place les collaborations entre médecins et vétérinaires ?

J’ai l'impression que deux univers se côtoient mais leurs échangent sont balbutiants. Comme les voies de formation sont complètement étanches, il existe peu d’interactions entre les deux, mis à part des parcours doctoraux récents. Et pourtant, aujourd'hui, une partie de la population médicale se rend compte que les vétérinaires ne sont pas juste là pour faire une injection de cortisone et d'antibiotiques, et que nous sommes capables de faire autre chose. À mon avis, cela doit évoluer, c'est une question de méconnaissance qui, une fois de plus, résulte aussi d'un défaut de moyens. Des vétérinaires poursuivent aussi des recherches à un excellent niveau et peuvent coopérer avec des chercheurs en médecine humaine.


Source : lequotidiendumedecin.fr