Cela n'a pas été une mince affaire que de creuser un trou de plusieurs dizaines de mètres de côté en plein milieu de l'Institut Pasteur de Paris mais le jeu en valait la chandelle : l'Institut de l'audition (Pasteur/Inserm), dont le siège est situé dans le XIIe, dispose maintenant d'un vaste espace de recherche entièrement insonorisé dans son sous-sol. Il est désormais possible d'y mener des expérimentations de pointe autour de l'audition.
Le Centre de recherche et d'innovation en audiologie humaine (Ceriah) a ouvert ses portes en mars 2021. Une quinzaine d'études chez des volontaires sont déjà en cours. Cette plateforme hébergée à l'Institut Pasteur est dédiée à la réalisation de protocoles de recherche clinique fondée sur des données beaucoup plus précises et exhaustives que celles actuellement obtenues dans les services ORL. Les dispositifs traditionnels étaient jugés « trop parcellaires » et « ne permettant pas d'appréhender l'ensemble des mécanismes à l’œuvre dans les phénomènes de l'audition », selon le Pr Paul Avan, PU-PH, biophysicien et directeur du Ceriah.
Une pièce pivot du futur IHU
Le centre aura plusieurs missions au sein du futur IHU re-Connect dédié à l'audition et porté par l'Institut de l'audition. Cet établissement, sélectionné par le président Macron dans le cadre du Plan Innovation Santé 2030 et qui entrera en service en mai 2024, sera le premier fédérant tous les acteurs de la santé auditive.
L'objectif principal sera donc de développer de nouveaux tests et protocoles de recherche pour établir un diagnostic complet de surdité, et mettre en évidence d'autres paramètres que la simple perte de décibels, comme l'activité moléculaire ou électrique de l'oreille interne. Le Ceriah participera également au cours Pasteur sur l'audition et au diplôme interuniversitaire (DIU) d'exploration cochléovestibulaire.
Au sous-sol, cinq cabines « blindées » sont totalement hermétiques aux sons, ondes électromagnétiques et aux vibrations. Outre les outils classiquement utilisés dans la recherche ORL (tympanométrie, otoémissions acoustiques, tests psychoacoustiques), les chercheurs feront aussi de l'exploration neurocérébrale (ECG, tests cognitifs, tests de proprioception, mesure de l'influx nerveux). De plus, une autre grande salle dispose d'une vaste armature métallique à laquelle peuvent être suspendues des enceintes, en vue de recréer n'importe quelle ambiance sonore spatialisée, du bar surpeuplé au hall de gare, avec possibilité de déambulation pour les volontaires équipés d'un casque de réalité virtuelle.
Dans une autre salle, une plateforme mobile permet de reproduire ou stimuler des effets posturaux des volontaires qui y tiennent debout, tout en modifiant la perception visuelle du patient à l'aide d'une… boule à facettes. Les chercheurs espèrent ainsi explorer les éventuels liens qui existent entre certains troubles de l'audition et les troubles de l'équilibre. Un fauteuil rotatoire mis au point par un des membres du Ceriah sert quant à lui à stimuler les fonctions otolithiques du vestibule.
Toutes les données produites dans ce sous-sol pourront être croisées à de la génomique ou des biomarqueurs sérologiques. Les 13 membres permanents du Ceriah comptent des cliniciens, des physiciens, des audiologistes ou encore des ingénieurs.
Explorer la variété des surdités
Le nombre de malentendants en France est estimé à six millions. La surdité est un phénomène complexe qui touche 6 % des 15 à 24 ans et 65 % des plus de 65 ans. En Europe, on caractérise la perte d'audition à partir d'une perte de 21 décibels, « mais environ 30 % des surdités ne sont pas liées aux décibels, explique le Pr Avan. Ce n'est pas la sensibilité mais la compréhension du son qui est altéré ».
C'est notamment le cas des surdités neuropathiques sur lesquelles va se concentrer l'étude Refined, l'un des premiers travaux menés au Ceriah. Le but est la mise au point d'aides auditives spécialisées dans cette famille de pathologies. Pour les patients concernés, il est difficile de discriminer des sons ou des sources d'émission, en particulier dans un environnement bruyant. « Les prothèses auditives classiques sont inefficaces, voire contre-productives, puisqu'elles ne font qu’amplifier des sons qui ne sont pas distingués les uns des autres », explique l'ingénieur de recherche Grégory Gérenton. Dans le cadre de Refined, les chercheurs du Ceriah, en association avec le CEA, vont expérimenter des prothèses capables de filtrer les sons, en amplifiant la parole et supprimant le bruit ambiant.
D'autres pathologies auditives sont liées à la dégradation des capacités mémorielles ou cognitives. « La prise en charge de ces surdités périphériques se fait donc en lien avec celle de la pathologie sous-jacente, précise le Pr Hung Thai-Van, spécialiste en sciences cognitives et codirecteur du Ceriah. On peut aussi évoquer les cas particuliers des lésions de l'oreille interne observées chez les diabétiques ou les neuropathies auditives qui touchent 15 à 20 % des enfants admis en soins intensifs néonataux. »
Pour toutes ces surdités particulières, l'arsenal classique d'exploration ORL se révèle peu adapté. Un autre projet de recherche est en cours de recrutement : l'étude Audiogenage, qui recherche actuellement 700 personnes âgées de 40 ans ou plus avec une perte auditive normale pour leur âge ou une presbyacousie de survenue anticipée (les renseignements pour participer sont disponibles en ligne).
Faute de tests adéquats, les presbyacousies sont souvent détectées tardivement. Audiogenage « va permettre de comprendre les mécanismes et les structures de l'oreille impliqués dans la presbyacousie en comparant les cas précoces attribuables à un gène défectueux et ceux dont les pertes auditives sont normales et liées à l'âge », résume Céline Quinsac, qui dirige le projet. Les tests mis au point dans le cadre de ce projet de recherche seront par la suite simplifiés pour être adaptés à une consultation ordinaire chez l'ORL.
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