Haruko Obokata était une jeune chercheuse prometteuse, au centre de biologie du développement de Kobé. En 2014, elle publie dans Nature deux articles retentissants, décrivant une méthode chimique simple pour obtenir des cellules pluripotentes à partir de cellules somatiques matures. Mais il est vite apparu que Haruko Obokata avait falsifié ses images et ses travaux n’ont jamais pu être reproduits. Effet collatéral de cette fraude, le 5 août 2014, Yoshiki Sasaï, cosignataire de l’article, qui avait fait partie de la short list des nobélisables, était retrouvé pendu dans son laboratoire. Autre exemple récent de délinquance scientifique, en 2015, Dong-Pyou Han, chercheur à l’université de l’Iowa, était condamné à quatre ans et neuf mois de prison pour avoir falsifié ses expérimentations sur un vaccin anti-sida. Pour simuler le développement d’une immunité antivirale, il mêlait des anticorps humains aux échantillons prélevés sur des animaux vaccinés.
Publier, sésame pour un poste
Si les cas de fraude aussi manifestes restent heureusement très rares, en revanche l’embellissement des données est devenu, insidieusement, une pratique courante. Il reflète le climat délétère dans lequel baigne le monde scientifique, mêlant négligence des cosignataires, complaisance des comités de lecture et cynisme des revues. Au cours du 6e colloque de Bobigny, organisé par le groupe Princeps, la Société de formation thérapeutique du généraliste et l’association Civic santé, le Dr Hervé Maisonneuve, animateur du blog www.redactionmedicale.fr, a dénoncé ces petits arrangements avec la science, qui « polluent » la littérature médicale. « Au minimum 50 % des articles sont embellis », a-t-il estimé, en citant un éditorial du rédacteur en chef du Lancet.
Le but est de publier, sésame pour l’obtention d’un poste. Un rapport récent des Académies américaines révèle qu’entre 1990 et 2013, le nombre de postes académiques de recherche a augmenté de 30 %, celui des doctorants formés de 90 % et celui des publications de 350 % ! Résultat : chaque année, plus d’un million d’articles sont référencés dans Medline.
Des références détournées
Cette pression explique les libertés prises avec la rigueur scientifique. Les résultats négatifs étant rarement publiés, tout est fait pour obtenir la significativité statistique. « On étudie des sous-groupes, on augmente les effectifs, on modifie les critères composites, on analyse à des temps différents et on ne retient que les résultats positifs, a énuméré le Dr Maisonneuve. En biochimie, on dit aux jeunes chercheurs : “si ton expérience marche, ne la refais pas. Les valeurs de p légèrement supérieures à 0,05 sont tronquées...” ». À cela s’ajoutent les biais de publication. 96 % des articles citant des valeurs de p référencés dans Medline comportent au moins une valeur < 0,05.Pour conforter une hypothèse, les références sont détournées. Une analyse critique de la littérature indique qu’un quart des références sont citées de manière inexacte. Dans près de la moitié des cas il s’agit de détournements majeurs, les auteurs faisant dire, par exemple, l’inverse de ce qui est réellement dans l’article (Jergas H, Baethge C, Peer J. 2015). D’autres sont de bonne foi, mais se contentent de reprendre des références déjà citées de manière erronée sans les vérifier. Les biais de citation conduisent à créer des concepts de manière artificielle. En 1992, cinq études indiquaient que les dépôts amyloïdes avaient un effet inflammatoire et six qu’ils n’en avaient pas. Par la suite, 94 % des revues générales et des travaux originaux sur ce sujet citaient les études positives, 6 % seulement les négatives, a cité le Dr Maisonneuve.
Autre source de données erronées, les chercheurs travailleraient, sans le savoir, sur des lignées cellulaires qui, dans 15 % des cas voire plus, ne seraient pas les bonnes, du fait de contaminations.
Dans ce contexte, la réplication des résultats revêt un caractère essentiel. Or, seule une minorité est reproduite par d’autres équipes. Une analyse des études pivot menées sur 12 thérapies ciblées, présentée par le Dr Gérard Delépine (chirurgien oncologue, trublion de la pensée médicale unique) révèle que seuls 10 études sur 32 ont vu leurs trois critères principaux (gain de survie, stabilisation tumorale, toxicité) confirmés par les études suivantes. Les résultats discordants des études pivots étaient toujours en faveur de la thérapie.
Des solutions existent pour limiter ces dérives : diminuer la pression pour publier, ouvrir l’accès aux données, mettre en place un tutorat… Depuis les années 1990, on observe une prise de conscience de ce problème par la communauté internationale et les choses commencent à bouger en France, avec la mise en place de l’Office français de l’intégrité scientifique, prévu par le rapport du Pr Corvol, et la nomination croissante de référents “intégrité scientifique” dans les établissements.
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