Faire grandir des organes humains dans des animaux relèvera-t-il bientôt de la science, et non plus de la science-fiction ? Pourrait-on ainsi espérer résorber la pénurie d'organes et sauver des vies ?
Ces perspectives sont encore très lointaines, mais elles stimulent un pan de la recherche en médecine régénérative, comme l'illustre une nouvelle étude publiée ce 7 septembre dans la revue scientifique Cell Stem Cell. Des chercheurs de l'Institut des sciences biomédicales et de la santé de Canton décrivent comment ils sont parvenus à créer un mésonéphros (stade intermédiaire du rein) humanisé dans des embryons de porcs.
Niche aménagée grâce à la suppression de deux gènes
Jusqu'à présent, aucun organe solide n'a été créé chez un animal comme le porc - cible privilégiée en raison de sa ressemblance physiologique avec les hommes et de la taille de ses organes. Les succès en matière d'organogenèses interespèces concernent les rongeurs pour le pancréas, le thymus, ou le rein. « Des organes de rats avaient déjà été cultivés dans des souris, des organes de souris dans des rats, mais les tentatives passées visant à développer des organes humains dans des porcs s'étaient soldées par un échec », souligne Liangxue Lai, un des principaux auteurs de l'étude. Deux raisons à cela : la concurrence entre les cellules du donneur et de l'hôte, et leurs différences dans les étapes de leur développement qui font obstacle à leur synchronisation.
L'enjeu a donc été d'abord de produire des cellules souches pluripotentes humaines capables de survivre à la compétition avec les cellules de l'hôte. Pour ce faire, ils ont coupé, avec les ciseaux moléculaires Crispr-Cas-9, deux gènes (SIX1 et SALL1) liés à la croissance des reins dans l'embryon de porc. Et ce afin de créer une « niche ».
Puis ils ont ajouté dans ces blastocystes de porc à déficience néphrétique des cellules souches humaines pluripotentes induites (iPSCs). Celles-ci avaient été auparavant modifiées afin d'augmenter leur capacité d'intégration interespèces, grâce avec la surexpression de deux gènes (MYCN et BCL2) et le recours à un milieu de culture développé précédemment par la même équipe (4CL). « Cette approche permet d'améliorer l'intégration de cellules humaines dans les tissus du receveur », résume Liangxue Lai.
Au total, les chercheurs ont transplanté 1 820 embryons dans 13 femelles porteuses et mis fin à leur grossesse 25 à 28 jours plus tard pour voir si l'expérience avait réussi ou non. Cinq des embryons choisis pour l'analyse avaient des reins fonctionnels pour ce stade de développement (deux embryons à 25 jours, trois à 28) et commençaient à développer un urètre qui finirait par connecter les reins à la vessie. Ils étaient composés à entre 50 % et 60 % de cellules humaines, évaluent les chercheurs.
Migration problématique de cellules humaines hors rein
« Nous avons découvert qu'en créant une niche dans l'embryon de porc, cela permettait aux iPSCs humaines de prendre naturellement leur place », indique Zhen Dai, coauteur de l'étude, précisant que des cellules humaines avaient toutefois été retrouvées dans la moelle épinière et les cerveaux des porcs.
Bien qu'aucune cellule humaine n'ait été retrouvée dans les organes génitaux des porcs (l'une des lignes rouges de l'édition du génome à l'échelle internationale), leur présence hors des reins, et notamment dans le cerveau, pose des questions éthiques sur les créatures hybrides, note Darius Widera, professeur de biologie moléculaire à l'université de Reading.
« Bien que cette approche soit un nouveau jalon dans la recherche et une première tentative réussie de faire croître des organes contenant des cellules humaines dans des porcs, la proportion de cellules humaines dans les reins générés ne reste encore pas très élevée », ajoute-t-il.
Prudence de la France pour les chimères
Pour l'heure, l'équipe chinoise reconnaît ne pas être prête pour transplanter un de ces reins sur un humain, mais elle espère y arriver un jour en peaufinant sa technique. L'un des principaux problèmes tient à ce que les reins ainsi produits gardent un système de cellules vasculaires hérité du porc, ce qui risque de causer un rejet en cas de transplantation de ces organes dans un humain. Outre les reins, l'équipe de l'Institut de Canton travaille déjà à la croissance d'autres organes humains dans des porcs comme un pancréas ou un cœur.
En France, où la législation a évolué à la faveur de la loi de bioéthique en 2021, qui a autorisé clairement l'adjonction de cellules humaines dans un embryon animal, les chercheurs jouent la prudence. « Transférer des embryons chimères dans l'utérus d'une femme animale soulève des questions éthiques sensibles. (...) La fabrication d'organe en vue de la transplantation relève encore de la science-fiction », déclarait dans nos colonnes Pierre Savatier, directeur de recherche à l'Inserm, en 2021.
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