Dr Alexis Elbaz (neurologue) : « Le risque de ­Parkinson lié aux pesticides s’étendrait à la ruralité au-delà des agriculteurs »

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Publié le 27/06/2025
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Le rôle de l’exposition aux pesticides pour la maladie de Parkinson, reconnu chez les agriculteurs, pourrait être plus large. Engagé dans les expertises Inserm « Pesticides et effets sur la santé » de 2013 et 2021, le Dr Alexis Elbaz neurologue et épidémiologiste, fait le point sur ces liaisons dangereuses.

Pesticides

Crédit photo : Phanie

LE QUOTIDIEN : Le décret du 4 mai 2012 valide la reconnaissance officielle de la maladie de Parkinson (MP) chez les agriculteurs exposés aux pesticides. Quels sont les produits phytosanitaires incriminés ?

Dr ALEXIS ELBAZ : La première expertise a examiné les liens entre exposition professionnelle et MP en concluant à l’existence d’une association pour l’exposition aux pesticides dans leur ensemble. Il était difficile de conclure à l’effet d’un produit ou d’une famille de produits en particulier mais il a été néanmoins possible de pointer le paraquat (herbicide), la roténone (insecticide) et la dieldrine (insecticide organochloré), tous trois interdits aujourd’hui dans l’Union européenne (UE). Les nouvelles études évoquent des associations avec les insecticides organophosphorés, les fongicides dithiocarbamates et carbamates. Des études complémentaires sont nécessaires pour mieux prendre en compte la question de la multi-exposition et accroître les données disponibles pour d’autres pesticides (par exemple le glyphosate).
Les neurones dopaminergiques seraient plus sensibles aux pesticides induisant au niveau cellulaire un stress oxydant (comme le paraquat) ou une inhibition du complexe I mitochrondrial (roténone). À noter que des études expérimentales in vitro et in vivo retrouvent un effet neurotoxique des pesticides sur les cellules dopaminergiques.

Quand se traduit l’effet de l’exposition professionnelle ?

Lorsque les quatre symptômes moteurs cardinaux de la maladie apparaissent – tremblements de repos, rigidité, lenteur du mouvement, instabilité posturale –, 50 à 70 % des neurones dopaminergiques centraux sont déjà endommagés. Ce qui signifie que la perte neuronale a progressé pendant une période pré-clinique de cinq à dix ans. Il est nécessaire d’évaluer l’exposition aux pesticides sur une longue période avant le diagnostic de Parkinson car il s’agit d’une maladie à début tardif, dont le diagnostic est souvent porté après la retraite.

D’autres signes, non moteurs (troubles de l’humeur, constipation, troubles du sommeil paradoxal, perte de l’odorat, déclin cognitif), traduisant une atteinte d’autres structures, peuvent exister longtemps avant l’apparition des signes moteurs, mais pour le moment le lien avec les pesticides n’a pas été exploré.

Et aucune étude épidémiologique n’a encore abordé le rôle des expositions précoces (grossesse, enfance) en raison des difficultés méthodologiques liées à l’âge tardif de la survenue de MP.

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Comment retracer l’exposition en pratique ?

Reconstituer les expositions sur plusieurs années se révèle une tâche ardue. Les agriculteurs ont été, tout au long de leur activité professionnelle, exposés à des multiples produits, ce qui complique le recueil des informations. Sans compter que les modalités d’utilisation sont très diverses selon les époques et les cultures. Souvent, les agriculteurs ne se rappellent pas précisément des pesticides utilisés mais se souviennent mieux des cultures de leurs exploitations. Par exemple, la viticulture, où l’utilisation de pesticides est importante, est tout particulièrement associée au risque de MP. Il est aussi possible d’utiliser des outils tels que les matrices culture-exposition ou emploi-exposition.

Les agriculteurs, les professionnels de l’horticulture ou des espaces verts peuvent être exposés par contact ou inhalation lors de la manipulation ou de l’emploi des pesticides mais aussi par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités (biocides, antiparasitaires) ou lors de l’entretien des machines d’épandage.

Que sait-on du lien avec l’exposition non professionnelle ?

L’expertise de 2013 mentionnait les premiers résultats obtenus en Californie par combinaison des lieux de résidence avec un registre de vente de pesticides montrant l’augmentation du risque de MP, chez les personnes vivant ou travaillant à proximité (rayon de 500 mètres) des champs traités par pesticides (par voie aérienne).
En 2017, en France, nous avons mené une étude sur l’association entre les caractéristiques agricoles des cantons et l’incidence de MP en population générale. Nous avons identifié les cas incidents à partir de données de l’Assurance-maladie et estimé la proportion de la surface des cantons consacrée à 18 types d’activités agricoles. Il ressort que la ruralité était associée à une incidence plus élevée de MP (association la plus forte pour les cantons à forte densité de vignobles). Cette association suggère que l’exposition non professionnelle aux pesticides pourrait contribuer à l’augmentation de l’incidence. D’autres études sont nécessaires dans d’autres contextes pour étudier le rôle de l’exposition environnementale.

Une maladie en forte progression

La maladie de Parkinson, seconde maladie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer, connaît une forte progression. En France, près de 200 000 personnes sont aujourd’hui traitées (versus 165 000 en 2014) et 27 000 nouveaux cas sont diagnostiqués par an ; l’âge moyen au diagnostic est de 75 ans. Selon des projections récentes (1), le nombre de malades devrait doubler dans le monde d’ici à 2050. Le vieillissement de la population est la principale cause mais l’exposition à des facteurs environnementaux pourrait aussi contribuer.

(1) D. Su et al. , BMJ, 2025; 388: e080952
(2) S.Kab et al Eur J Epidemiol. 2017 ;32(3):203-216
(3) B.R. Bloem et al The Lancet Planetary Health, 2023; vol 7, n° 12, e948 e949

Propos recueillis par Mireille Peyronnet

Source : Le Quotidien du Médecin