Décision Santé. Une nouvelle fois lors de la deuxième vague, selon des témoignages, des patientes atteintes de cancer se disent abandonnées. Quels sont les échos du terrain recueillis par la Ligue contre le cancer ?
Axel Kahn. Nous sommes en train de reproduire exactement les mêmes erreurs que la première vague. Rien n'a changé, à part dans les centres de lutte contre le cancer, qui d'ailleurs avaient déjà été préservés. Pour ce qui est des hôpitaux généraux, c'est exactement la même chose : les annulations sont considérables. Nous sommes en possession d'une avalanche de témoignages qui vont dans ce sens. Exemple, une personne atteinte d'un cancer carcinologique avait eu son opération de mars-avril repoussée début octobre. Et là encore sine die elle a été de nouveau reportée. J'ai reçu un mail hier d'une patiente atteinte de métastases pulmonaires uniques qui devait être opérée le 30 octobre et dont l'opération a été annulée. Des salles de médecine qui reçoivent des patients oncologiques sont vidées pour y mettre des patients Covid. Rien n'a été prévu pour sécuriser les parcours du cancer. Je n'avais pas conscience que les dégâts étaient aussi importants. Nous n'avions pas alors les données dont nous disposons actuellement, à savoir entre mars et mai 2020, 30 à 50 % des cancers n'avaient pas été diagnostiqués et par mois de retard il y a eu en moyenne 10 % de pertes de chances. Bref, nous sous-estimions alors le désastre. Il y aura donc des milliers de morts supplémentaires par cancer dans les cinq ans à venir liés à cette crise. Nous sommes totalement révoltés et restons mobilisés à la Ligue.
Décision Santé. Pourquoi les pouvoirs publics affirment qu'ils font tout pour préserver le parcours des soins des patients non Covid ?
Axel Kahn. Sur le terrain, cette posture n'a pas d'efficacité réelle. Dans la réalité, ce sont des annulations, des salles vidées. Qu'on le veuille ou non, il s'agit dans les faits d'une priorisation des malades pris en charge. Si l'on veut vivre avec ce virus, cela veut dire qu'il faut soigner la Covid et ne pas arrêter de soigner les autres maladies, qui sont plus nombreuses et plus graves, On est bien obligé de soigner les malades Covid+ et ce sont notamment les patients cancéreux qui en pâtissent.
DSS. La ville pourrait-elle soulager l'hôpital dans la prise en charge de ces patients ?
Axel Kahn. Bien sûr. Dès le 8 mars, la Ligue a ouvert une cellule d'appel où se sont relayés 24 heures/24 et 7 J/7 six oncologues pour répondre à 2 000 patients. Ensuite, il y a eu la guideline publiée par le HCSP qui prévoyait de passer les patients à la chimiothérapie orale si possible. Avec ce cadre, nous avons pu conseiller les patients qui étaient terrorisés. Mais ce dispositif n'a pas empêché non plus les retards de diagnostic pour le dépistage, les perturbations des opérations et de vérification biologique ou de confirmation histologique d'un cancer ou bien même les interventions non ultra urgentes.
DSS. Quid des patients cancéreux atteints de Covid ?
A. K. Les collègues chinois nous avaient avertis que les patients atteints de cancer étaient jusqu'à cinq fois plus sensibles que les autres. En fait, ce n'est pas le cas. Globalement, les personnes atteintes de cancer, même celles touchées par les formes graves, sont assez vaillantes par rapport à la Covid. Celles qui ont un cancer de la prostate et sous hormonothérapies sont même plus résistantes à la Covid que les autres, mais ce sont les seules. L'exception, ce sont évidemment les patients immunodéprimés car soignés par polychimiothérapie et qui par conséquent se trouvent en grande insuffisance respiratoire et donc très affaiblis. À part ce groupe de patients, il n'y a pas de problème majeur de surrisque. Or celui-ci est lié au fait qu'on délaisse le traitement optimal du cancer.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation