Dans le décompte de toutes les victimes du SARS-CoV-2, on oublie parfois de comptabiliser l’Union européenne tombée sous l’autel de la santé publique (voir pages 6 à 15). Faut-il, en réponse à une pandémie, plus ou moins d’Europe ? Dans les premières semaines, au temps de la sidération et du premier confinement, les médecins se sont repliés à l’intérieur de leurs frontières. Et les soignants-volontaires ont afflué là où se menait la guerre contre l’ennemi, tout près de chez eux, comme en 14 ! La prochaine fois, faudra-t-il faire autrement et combattre le nationalisme sanitaire ? Sûrement pas, répond Aquilino Morelle, l’ancien expert en santé publique qui se présente désormais comme un des héritiers de Raymond Aron. Le cadre national se serait révélé particulièrement adapté à la lutte contre le virus. « La sécurité sanitaire est non seulement une prérogative de l’État-nation mais participe de la sphère régalienne de celui-ci » (p 424*). Quant à l’Union européenne, elle aurait accumulé les fiascos. Le réquisitoire relève ici du jeu de massacre, sans même accorder à l’accusée des circonstances atténuantes. « La Commission s’est singularisée par sa lourdeur, son manque d’anticipation, sa lenteur, incapable d’assurer correctement le rôle de centrale d’achat qu’elle avait arraché aux États-membres. » Généreusement, le procureur lui accorde à l’avenir le statut d’une « instance de coordination des choix nationaux, que ceux-ci soient stratégiques ou simplement logistiques ». Merci pour elle…

Laurent Chambaud, directeur de l’École des Hautes Études en santé publique (EHESP), pour d’autres motifs que ceux d’Aquilino Morelle, partage le diagnostic d’une Europe pour le moins défaillante : « Le bilan des décisions et actions conjointes au sein de cet espace est indigent. » (2). Et de citer pour exemple le moment où les États ont adopté des positions divergentes lorsqu’ont été connus les premiers effets secondaires du vaccin AstraZeneca. Au risque de fragiliser l’Agence européenne du médicament.

Au-delà de la vision de chacun sur le futur de l’Union européenne, le consensus sur la relocalisation des industries stratégiques de santé et le concept du One Heath, la gestion de la pandémie rebat les cartes. Avant le SARS-CoV-2, les élites se prononçaient pour un élargissement des compétences de la Commission européenne dans le champ de la santé. Les agences sanitaires françaises étaient en revanche farouchement contre et défendaient leurs prérogatives. Demain, faudra-t-il aller vers plus d’intégration ou se satisfaire de l’instauration le 16 septembre dernier de l’HERA, l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire ? Où mettre alors le curseur ? Le virus de 50 à 140 nanomètres de diamètre n’a pas fini de bousculer nos certitudes.

1. L’opium des élites, comment on a défait la France sans faire l’Europe, éditions Grasset, 588 p, 25 euros.
2. Covid, une crise qui oblige, Hygée éditions, 72 pages, 8 euros.


Source : Décision Santé