« C’est un affront au principe de précaution », dénonce la Ligue contre le cancer en réaction à l’adoption, le 8 juillet 2025, de la loi Duplomb sur l’agriculture. Portée par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (UDI), elle vise à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur et prévoit de réintroduire temporairement l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2018.
Renvoyé en commission mixte paritaire après son rejet en première lecture à l’Assemblée nationale, le texte a été voté le 2 juillet 2025 au Sénat et le 8 juillet 2025 à l’Assemblée avec 316 voix en sa faveur et 223 voix contre (total de 564 votants avec 539 votes exprimés). Le pesticide est ainsi autorisé en Europe jusqu’en 2033.
« En levant certaines contraintes, ce texte ne protège personne – ni les enfants, ni les concitoyens, ni même les agriculteurs, qui seront les premiers exposés aux néonicotinoïdes », s’indigne Francelyne Marano, vice-présidente de la Ligue contre le cancer et professeure émérite en toxicologie. L’association qualifie par ailleurs la situation de paradoxale, citant l’adoption récente du projet de loi sur le registre national des cancers et le lien documenté entre exposition aux pesticides et cancers. « Ce texte va à l’encontre des principes mêmes de santé publique, martèle l’association, il affaiblit les protections existantes, fragilise les environnements favorables à la santé et envoie un signal incompréhensible au regard des enjeux sanitaires et environnementaux de notre époque. »
« Grave recul pour la santé publique »
À l’adoption de la loi, d’autres voix que celle de La Ligue se sont également fait entendre, comme celle de la Fondation pour la recherche médicale qui qualifie la réintroduction de l’acétamipride comme un « grave recul pour la santé publique » et pointe du doigt « la mise à l’écart des données scientifiques produites par la recherche ». France Assos Santé a exprimé « son inquiétude pour la santé de tous, et en premier lieu celles des agriculteurs ». Le président de Médecins du monde France, le Dr Jean-François Corty, a quant à lui alerté sur son compte X d’une « hécatombe de maladies chroniques en cours et à venir ».
Le projet de loi est, depuis plusieurs mois déjà, au cœur de la controverse. Si le monde de l’écologie s’est emparé du sujet, rappelant la nocivité avérée des néonicotinoïdes sur l’environnement (notamment les insectes pollinisateurs), ce ne sont pas les seuls. Des médecins, des chercheurs et des associations ont également manifesté leurs inquiétudes. Un collectif de 1 279 médecins et scientifiques avait d’ailleurs adressé une lettre ouverte au gouvernement, dans laquelle il rappelait l’importance du principe de précaution face à l’existence de données scientifiques convergentes sur la nocivité de ces pesticides pour l’humain. Le directeur scientifique Agriculture de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Christian Huyghe, auditionné le 5 avril 2023 à la Commission des affaires économiques, avait quant à lui qualifié l’acétamipride de « chlordécone de l’Hexagone ».
Sept médecins députés en faveur de la loi Duplomb
Cependant, à ce jour, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dont l’indépendance était d’ailleurs menacée dans le texte initial, n’a pas établi de lien entre néonicotinoïdes et nocivité pour la santé humaine « dans le respect des conditions d’emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché ».
Une caution scientifique que semblent suivre les protagonistes de l’adoption de cette loi. En effet, parmi les voix de l’Assemblée nationale en faveur de la loi se trouvent celles de sept médecins (sur les dix que comptent les députés) : la Dr Geneviève Darrieussecq (Les Démocrates), ancienne ministre de la Santé et de l’Accès aux soins dans le gouvernement Barnier, la Dr Anne Genetet (Ensemble pour la République), le Pr Philippe Juvin (Droite Républicaine), le Dr Michel Lauzzana (Ensemble pour la République), président du groupe de travail Cancer de l’Assemblée nationale, la Dr Joëlle Mélin (Rassemblement national), la Dr Stéphanie Rist (Ensemble pour la République) et le Dr Jean-François Rousset (Ensemble pour la République). Mais aussi celles de deux autres anciens ministres de la Santé : Agnès Firmin-Le Bodo (Horizons), ministre dans le gouvernement Borne et pharmacienne, et Frédéric Valletoux (Horizons), ministre délégué dans le gouvernement Attal. La loi a également reçu le vote positif d’une grande majorité du groupe de travail Cancer de l’Assemblée nationale (34 sur 45).
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