Fin 2018, une collaboration internationale de chercheurs publiait dans le « Lancet » des projections de l'évolution de 250 causes de décès de la population mondiale pour 2 040 (1). Pour les réaliser, elle s'est fondée sur les données du Global Burden Diseases 2 016 (GBD) et l'analyse de 79 indicateurs de santé. Ce travail permet de dégager de grandes tendances concernant la santé future. À commencer par celle de vos patients ! Deux éléments sont particulièrement saillants : le vieillissement de la population et la montée des maladies chroniques, dans les pays développés comme dans le reste du monde.
La majorité des indicateurs de santé devrait s'améliorer d'ici 2040, l'obésité restant l'un des déterminants de santé les plus préoccupants pour l'avenir. L'espérance de vie (EV) dans le monde devrait augmenter de 4,4 ans en moyenne en 2 040 pour les hommes et les femmes, avec de fortes disparités selon que le scénario est optimiste (fortes politiques de prévention : 7,2 ans d'EV en plus chez les hommes) ou pessimiste (faible prévention : stagnation de l'EV).
En France, les admissions en affections de longue durée (ALD), en hausse constante, devraient augmenter, selon la CNAM, de 20 % sur la période 2015-2020 pour certaines pathologies. La population de 2 040 survivra à un ou plusieurs événements cardiovasculaires, un ou plusieurs cancers, une ou plusieurs maladies chroniques et cumulera ainsi plusieurs comorbidités et plusieurs traitements.
Pour le Dr Olivier Grimaud, médecin épidémiologiste à l'École des hautes études en santé publique (EHESP), « c'est une très bonne nouvelle. L'EV est un bon indicateur de santé des populations. On vit de mieux en mieux, de plus en plus longtemps. En contrepartie, les pathologies chroniques s'accumulent. Pour le médecin généraliste, c'est un vrai défi d'orientation et de coordination : donner le bon traitement à la bonne personne au bon moment dans le bon lieu ».
Selon les projections de l'INSEE, - « l'information la plus solide pour l'avenir », souligne Jean-Marie Robine, conseiller scientifique à l'Institut national des études démographiques (INED) - le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus pourrait augmenter de 80 %, par rapport à 2007, passant à 23,6 millions d'ici 2 060. En 2040, la catégorie des ≥65 ans représentera un peu plus d'un quart de la population. Dans le même temps, la natalité, pourtant relativement préservée en France par rapport à ses voisins européens, ne suffira pas au renouvellement des populations.
Tendance au survieillissement
La proportion des sujets très âgés va particulièrement grimper. « La tendance générale est au survieillissement », estime Jean-Marie Robine. Selon l'institut national de la statistique, le nombre de plus de 75 ans passerait de 5,2 millions en 2007 à 11,9 millions en 2060, celui des plus de 85 ans de 1,3 à 5,4 millions.
« Ce scénario central reste pourtant limité, tempère Jean-Marie Robine. Il se fonde sur l'hypothèse que le futur va correspondre au passé. Mais l'espérance de vie va-t-elle continuer à augmenter de façon linéaire ? ».
Certains signaux font réfléchir, en effet. L'augmentation de l'EV ralentit chez les femmes, de façon assez variable en Europe, alors qu'elles ont atteint le seuil moyen des 85 ans plus tôt que leurs congénères masculins, dès les années 1990. « Chez les hommes, l'augmentation reste linéaire, de l'ordre de 3 mois par an, développe le chercheur. Est-ce un concours de circonstances lié à l'arrivée en 2012 du variant grippal H3N5 exclusivement délétère chez les plus âgés ≥ 85 ans ? ».
Les survivants, au-delà de 90 ans chez les femmes et de 85 ans chez les hommes, restent très fragiles et peuvent décompenser leurs maladies chroniques à l'occasion d'événement imprévu, comme lors de la canicule de 2003. « Le nouveau variant de la grippe H3N5, venu de Mexico, était considéré comme bénin à la fois chez les enfants et les adultes, décrit Jean-Marie Robine. Chez les plus âgés, l'effet sur la mortalité est énorme, avec près de 250 000 décès supplémentaires. Lors de la grosse épidémie de 2015, l'EV a baissé de 3-4 mois dans 21 pays d'Europe chez les femmes ».
A contrario, des scénarios à l'étranger, notamment au Japon, laissent penser qu'il est possible d'emmener une majorité d'individus vers le plafond des 110 ans. L'augmentation de l'espérance de vie se traduit-elle par une espérance de vie en bonne santé des patients de 2 040 ? « L'espérance de vie sans incapacité (EVSI), qui est l'un des indicateurs les plus fiables de l'EV en bonne santé, augmente de façon proportionnelle avec l'EV, décrit Jean-Marie Robine. Il y a un équilibre dynamique entre les deux, comme le montrent les longues séries sur 40 ans au Japon et aux États-Unis. Au Japon, il y a près de 90 % d'espérance de vie sans incapacité. En France, l'EVSI n'augmente pas mais stagne ».
Nouvel agent infectieux, antibiorésistance, crise économique, changements climatiques, mais aussi progrès médical, des phénomènes imprévisibles peuvent changer la donne. « Les projections sont nécessaires, estime Claude Le Pen, économiste de la santé à l'université Paris Dauphine. On ne peut pas faire sans, mais il faut éviter de les ériger en dogme. Les changements historiques sont variés et imprévisibles ».
L'avenir peut réserver de bonnes surprises. Le développement des réseaux de communication et d'information est un facteur très encourageant. « Quand on est instruit, on est mieux armé pour faire face en situation de fragilisation », souligne Jean-Marie Robine. Aujourd'hui, les patients deviennent « experts » de leur maladie. « Le progrès n'est pas linéaire et avance par bond, fait remarquer Claude Le Pen. Le modèle actuel de la chronicisation des maladies pourrait être remplacé par un modèle de guérison. C'est ce que laissent espérer les promesses d'éradication du VHC, de la thérapie génique ou de technologie disruptive comme les CAR-T cells ».
(1) K. Foreman et al., Lancet, 392, 2052-90, 2018
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation