Les inquiétudes actuelles autour du vaccin anti-covid d’AstraZeneca et d’un éventuel risque thromboembolique chez les sujets jeunes vous semblent-elles justifiées ?
Pr Elisabeth Bouvet : On a effectivement observé, chez des gens vaccinés avec le vaccin d’AstraZeneca, des évènements cliniques habituellement très rares, type CIVD ou thrombose veineuse cérébrale, avec une fréquence un peu trop élevée (entre 5 et 8 fois plus qu’en population générale) pour être une pure coïncidence. Même si leur nombre reste très faible (25 cas recensés mi-mars sur 20 millions de personnes vaccinées), il y a vraiment un signal. D’autant qu’à l’exception d’un cas mal documenté, ces syndromes ont tous été observés chez des sujets jeunes (moins de 55 ans).
Malgré tout, fallait-il vraiment restreindre l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca aux plus de 55 ans, par principe de précaution, au risque de désorganiser la campagne ?
Pr E. B. : On ne peut pas parler de principe de précaution. Le risque a vraiment été observé et on ne peut pas faire comme si cela n’existait pas. Cela me semble assez logique de proposer d’interrompre la vaccination AstraZeneca chez les sujets jeunes alors que ces évènements semblent survenir essentiellement dans cette population par ailleurs peu à risque pour elle-même vis-à-vis du Covid.
Certes il y a une urgence à vacciner et si nous n’avions eu que le vaccin d’AstraZeneca, nous aurions probablement conclu que globalement la balance bénéfice/risque restait favorable sans restriction d’âge. Mais il existe des alternatives et l’on devrait avoir des doses beaucoup plus importantes de vaccins à ARN dans les semaines qui viennent.
On a donc choisi une position prudente mais qui nous semble compatible avec la poursuite de la campagne. Alors qu’en France, nous nous sentions peut-être moins directement concernés, le récent décès d’un jeune étudiant en médecine a été une nouvelle alerte qui a conforté notre décision.
Y a-t-il un rationnel physiopathologique pouvant expliquer le signal observé ?
Pr E. B. : Comme c’est un vaccin à adénovirus, la question qui se pose est celle du rôle du vecteur viral dans l’émergence de ces accidents. On sait qu’il y a des maladies virales qui peuvent entraîner des thrombopénies de mécanisme immunologique. L’hypothèse serait que la réaction inflammatoire produite par le vaccin entraîne tout un processus immuno-inflammatoire avec notamment la production d’anticorps anti-plaquette déclenchant un processus de coagulopathie de consommation, etc.
Il y a peut-être la conjonction de plusieurs choses mais le vaccin participe très probablement à l’expression de ces pathologies. On ne peut pas dire à ce stade que le vaccin n’est pas en cause.
Le vaccin Janssen repose sur une technologie similaire. Suscite-t-il aussi des inquiétudes ?
Pr E. B. : Le vaccin Janssen est effectivement un vaccin à vecteur viral puisqu’il utilise un adénovirus humain. Nous allons donc être particulièrement prudents. De son côté, la FDA a pointé un tout petit surrisque de thrombose. Il s’agissait surtout de thromboses classiques, avec néanmoins, un cas de thrombose cérébrale.
La HAS doit se prononcer sur la conduite à tenir pour la seconde dose chez les moins de 55 ans ayant déjà reçu une injection d’AstraZeneca. Quelles sont les alternatives ?
Pr E. B. : L’idéal serait de pouvoir identifier des facteurs de risque autres que l’âge (pilule ? tabac ? etc.) permettant de reprendre la vaccination chez les moins de 55 ans et de la contre-indiquer uniquement chez les sujets à risque. Le PRAC est en train d’analyser l’ensemble des cas dans cette optique mais je ne suis pas sûre que cela puisse être suffisamment contributif.
On cherche aussi à savoir s’il est possible de faire la deuxième dose avec un vaccin à ARN. La question se posait déjà du fait des variants avec l’idée de booster la vaccination AstraZeneca avec une seconde dose de Pfizer pour élargir un peu le spectre de leur immunité. Nous allons accélérer nos travaux pour rendre un avis le plus rapidement possible. On pourrait aussi envisager de se limiter à une seule dose avec un niveau d’efficacité de l’ordre de 70 % à trois mois.
Pour un médecin quels sont les signes qui doivent alerter chez un patient vacciné avec un vaccin AstraZeneca ?
Pr E. B. : Selon le type d’évènement, les symptômes peuvent être assez divers. Ceci dit, maintenant que l’on a pris la décision de ne plus proposer le vaccin d’AstraZeneca au moins de 55 ans, la probabilité qu’il se passe quelque chose est vraiment extrêmement faible.
Les généralistes peuvent donc reprendre la vaccination dans leur cabinet sans arrière-pensée ?
Pr E. B. : Il y a encore beaucoup de personnes à risque de plus de 55 ans à protéger et les généralistes ont justement l’avantage de pouvoir les vacciner à leur cabinet alors qu’elles auraient par ailleurs des difficultés à obtenir un rendez-vous dans un centre pour d’autres vaccins. Pour ces patients, le rapport bénéfice/risque est vraiment très favorable.
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