En matière de vaccination anti-Covid, l’espacement des injections peut-il être préjudiciable ? Depuis plusieurs jours la question fait débat alors que la HAS a recommandé samedi de décaler la seconde injection à 6 semaines.
Officiellement, la deuxième dose doit être administrée à J21 pour le vaccin Cominarty® de Pfizer-BioNtech et à J28 pour celui de Moderna. Cependant, « dans un contexte de limitation en nombre de doses » et « afin de faire bénéficier de la première dose un plus grand nombre de personnes vulnérables, avant que la situation épidémique ne se dégrade davantage », la HAS juge « raisonnable d'étendre pour tous le délai d'administration de la deuxième dose des vaccins à ARNm à 6 semaines, la première dose offrant déjà une protection contre le virus ».
Selon des travaux de modélisation menés en collaboration avec l’Institut Pasteur, cette modification du schéma vaccinal devrait conduire à vacciner au moins 700 000 personnes de plus le premier mois. Et permettre ainsi d’épargner des vies et le système de santé, espère la HAS, sous réserve « qu'elle soit mise en œuvre rapidement et que les doses de vaccins soient réservées effectivement aux populations les plus à risque de forme grave de Covid-19 ou de décès ».
Quel impact sur l’efficacité du vaccin ?
En termes de risques, « à l’échelle individuelle, celui de perte d’efficacité paraît limité », estime la HAS. Pour les vaccins à ARNm, les données disponibles montrent en effet que si la réponse anticorps neutralisante n’apparaît qu’après la deuxième injection, l’efficacité clinique du vaccin Comirnaty® de Pfizer BioNtech débute dès le 12e jour après la première dose et celle du vaccin de Moderna dès le 14e jour. En revanche, des incertitudes persistent quant à la durée de la protection conférée par une seule dose et l’impact de l’espacement des doses sur la mise en place d’une protection durable.
Les données immunologiques des essais de phase 1/2 confortent l’intérêt de l’administration d’une seconde dose pour installer une mémoire immunitaire et de façon générale l’expérience acquise en vaccinologie montre que l’espacement des doses au sein d’un schéma vaccinal peut retarder l’obtention d’une protection durable. « Mais elle permet aussi l’obtention d’une réponse immune de niveau plus élevé après la dose suivante, rassure la HAS. Ainsi, il est généralement considéré que si, pour des raisons de maturation immunologique, l’intervalle minimal entre les doses doit être respecté, l’allongement de cet intervalle amène, en matière de protection à long terme, plus d’avantages que d’inconvénients ».
Pour autant certains experts appellent à la prudence. « Je ne suis pas pour l'espacement des doses », a ainsi déclaré le Pr Karine Lacombe, invitée du Grand Jury RTL/ Le Figaro/LCI, estimant qu’après une seule dose, le niveau de protection atteint n’était « pas suffisant pour ne pas être infecté ». Même prudence de la part du Pr Alain Fischer. Dans un entretien accordé au Généraliste, le coordonnateur de la stratégie vaccinale rappelle « qu’ on ne sait pas encore ce que l’espacement des doses pourrait induire en termes de baisse de l’immunité notamment chez les personnes âgées qui répondent moins bien aux vaccins » et considère « plus simple, plus sage et plus prudent », de ne pas espacer trop la seconde dose au-delà de quatre semaines.
Une stratégie à même de favoriser l'émergence de variants ?
Des questions se posent aussi quant à l’impact potentiel de l’espacement des doses en cas d’infection survenant dans l’intervalle entre les deux injections. En prolongeant un état immunitaire intermédiaire, cette stratégie pourrait favoriser les phénomènes d’antibody dependant enhancement (ADE) ou phénomènes de facilitation de l’entrée du virus dans la cellule par les anticorps fabriqués lors de la vaccination, avec à la clé un risque d’aggravation du Covid. Cependant, après une vaccination, les phénomènes d'ADE semblent relever d'une réaction immunitaire de type Th17 et, peut-être, Th2. Or, « il est intéressant de noter que les vaccins à ARNm sont connus comme induisant spontanément une réponse cellulaire de type Th1 ». Par ailleurs, « dans les essais de phase 3, ce phénomène n’a pas été rapporté, quel que soit le vaccin considéré, et même lorsque les délais d’administration de la seconde dose étaient allongés (délai pouvant aller de 21 à plus de 24 semaines selon les vaccins) », rassure la HAS.
Par ailleurs, selon l’Académie de médecine, « au niveau collectif, l’obtention d’une couverture vaccinale élargie, mais fragilisée par un faible niveau d’immunité », pourrait constituer « un terrain favorable pour sélectionner l’émergence d’un ou de plusieurs variants échappant à l’immunité induite par la vaccination ». Un risque potentiel dont convient la HAS tout en notant « qu’il n’existe à ce jour aucun exemple de sélection de variants ou d’autres souches virales, chez l’Homme, sous l’effet de la pression de sélection induite par une vaccination contre des virus ».
Un « jeu dangereux » selon les syndicats
Les inquiétudes portent enfin sur les dangers d’une stratégie ne laissant aucune marge de manœuvre en repoussant au maximum le délai entre les deux doses. « Au plan scientifique, les laboratoires Pfizer-BioNTech comme la HAS rappellent que 42 jours est le délai maximal pour ne pas prendre le risque d'une perte d’efficacité, [ce qui] ne laisse aucune marge de sécurité dans un contexte où les livraisons de vaccins semblent chaque jour plus aléatoires aussi bien en termes de quantité que de calendrier », s’inquiète ainsi MG France, tout en soulignant l’impact de ce changement de schéma vaccinal sur l’organisation des centres de vaccination.
Même son de cloche du côté de l’UFML-S qui dénonce « un jeu dangereux qui mise sur la certitude de la réception de quantité de vaccin suffisante pour assurer la deuxième dose ». Repousser à 6 semaines la deuxième injection « peut, au regard des difficultés quotidiennement mises à jour au sein de la campagne vaccinale, entraîner des retards de vaccination au-delà de 6 semaines », alerte le syndicat, qui dénonce par ailleurs « une recommandation qui va empêcher les soignants de percevoir la deuxième dose vaccinale en temps et en heure, alors qu’une troisième vague risque de déferler sur la France dans les semaines qui viennent ».
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