Ophtalmologie

Une nouvelle vision de la sécheresse oculaire

Publié le 29/05/2015
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Loin des prouesses technologiques de l’œil bionique, le congrès de la Société Française d’Ophtalmologie a aussi accordé cette année une large place à la sécheresse oculaire,

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Moins polémiques que le traitement de la DMLA, moins médiatiques que l’œil bionique, les pathologies de la surface oculaire font rarement parler d’elles. Le récent congrès de la Société Française d’Ophtalmologie (Paris, 9-12 mai) a fait exception en leur consacrant cette année tout son rapport annuel et plusieurs communications orales.

La sécheresse oculaire (SO) a été particulièrement abordée avec une actualité plutôt riche. « Grâce à 20 ans de recherche en histopathologie et en immunologie, on commence à mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques en cause, avec, à la clé, de nouvelles cibles thérapeutiques », explique le Pr Christophe Baudouin (CHNO des Quinze-Vingts, Paris) et co-auteur du rapport de la SFO.

Cercle vicieux

Longtemps considérée comme un « simple » symptôme pouvant résulter de causes variées, la SO est désormais appréhendée comme une maladie à part entière. Selon l’hypothèse défendue par le Pr Baudouin, « l’œil sec fonctionne comme un véritable cercle vicieux biologique auto-entretenu dans lequel les malades glissent progressivement ou parfois brutalement sous l’effet d’une maladie autonome ou d’une accumulation de facteurs de risque ».

Une fois le cycle enclenché, la sécheresse peut s’autonomiser par rapport à sa cause et évoluer pour son propre compte. En effet, qu’il soit lié initialement à un défaut de sécrétion (dans un syndrome de Gougerot-Sjögren, par exemple) ou à un excès d’évaporation (par exemple en cas de dysfonction des glandes de Meibomius ou « DGM »), le déficit en liquide lacrymal va de pair avec une augmentation de son osmolarité. Cette hyperosmolarité est responsable d’une souffrance cellulaire et de phénomènes d’apoptoses, lesquels entraînent une stimulation nerveuse cérébrale « d’alerte ». En retour, le cerveau met en branle une boucle neurobiologique destinée à augmenter la sécrétion lacrymale et à activer la sécrétion de mucus et l’excitation des systèmes défensifs locaux. Sur une surface oculaire et/ou des glandes lacrymales déjà pathologiques, cette stimulation finit par causer une inflammation, elle-même cytotoxique pour la surface oculaire et notamment pour les cellules à mucus, entretenant ainsi la sécheresse oculaire.

Une deuxième boucle faisant entrer en jeu les paupières peut également intervenir. En effet, un film lacrymal instable ou insuffisant peut modifier la flore microbienne avec l’apparition d’une flore anormale qui va libérer des lipases et des toxines et entraîner des modifications de la composition lipidique du film lacrymal aboutissant à une instabilité lacrymale supplémentaire.

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Cette théorie du cercle vicieux « a le mérite d’expliquer la déconnexion de la SO par rapport à la cause qui peut être ponctuelle alors que la sécheresse perdure », souligne le Pr Baudouin. Par exemple, certains antidépresseurs peuvent déclencher une sécheresse oculaire qui va persister même à l’arrêt du traitement.

Cette approche explique aussi la survenue brutale de certaines SO suite à une « simple » conjonctivite virale ou a un acte de chirurgie par exemple. Dans ces cas-là, le film lacrymal est déjà altéré par différents facteurs comme la climatisation, le travail prolongé sur ordinateur, etc. mais arrive à compenser jusqu’à ce qu’un événement aigu constitue « la goutte d’eau qui fait dessécher l’œil » et précipite l’entrée dans le cercle vicieux.

Enfin, cette approche a permis d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. « Bloquer l’inflammation est devenu un enjeu majeur », explique le Pr Baudouin, avec beaucoup de travaux sur les biothérapies. Son équipe travaille de son côté sur le développement de molécules ciblant le nerf cornéen et l’inflammation neurogène. « On a quelques pistes encourageantes mais nous n’en sommes pas encore au stade d’essais cliniques », résume le Pr Baudouin.

Collyre à la ciclosporine

En attendant, la ciclosporine en collyre, qui vient d’obtenir une AMM européenne pour le « traitement de la kératite sévère chez les adultes présentant une sécheresse oculaire qui ne s’améliore pas malgré l’utilisation de substituts lacrymaux », pourrait rendre de vrais services et permettre enfin de soulager les patients. Utilisée de façon locale à très faible dose (0,05 à 0,1 %), la ciclosporine a en effet démontré son efficacité dans les kératoconjonctivites sèches à composante inflammatoire en réduisant les symptômes, la kératite et l’inflammation. Déjà prescrit dans certains services hospitaliers dans le cadre d’ATU ou de préparations hospitalières ce traitement sera disponible d’ici quelques mois « pour tous les patients qui en ont besoin », se félicite le Pr Baudouin.

Une bonne nouvelle alors que 15 % des plus de 65 ans seraient touchés à des degrés divers par un problème d’œil sec. Or il est établi que la sécheresse oculaire entraîne non seulement une gêne des patients mais peut aussi être à l’origine de véritables douleurs voire d’une altération de la fonction visuelle comme l’ont démontré plusieurs études récentes. Avec, à la clé, « un impact sur la qualité de vie analogue à celui de l’angine de poitrine ! ».

 



Source : Le Généraliste: 2723