Dans les années 90, l’informatique s’est ouverte à la prise en charge des patients et à la gestion de leur dossier médical. Le développement de la télémédecine et des outils de l’internet, puis l’irruption des données « omiques », ont transformé le paysage. Cette évolution s’accélère avec le développement des objets connectés et la collecte des données générées par le patient. Dans quelques années sera cartographié le génome de tous les enfants qui naîtront en France… La révolution est là.
Organisations obsolètes et paralysantes
Ces informations constituent une richesse potentielle tant sur un plan collectif qu’individuel, car elles permettent déjà d’améliorer les connaissances épidémiologiques et le développement d’une médecine « personnalisée ». Toutefois, il est difficile, en France d’en tirer les bénéfices tant elles tombent sous le coup de réglementations et d’organisations aussi obsolètes que paralysantes. Dans les régions, la gouvernance des systèmes d’information de santé, pourtant cruciale, n’est pas définie. Quant aux hôpitaux, là aussi la gouvernance rigide, nationale et emprisonnée dans des textes se montre inadaptée.
En France, la médicalisation des systèmes d’information hospitaliers a concerné le financement des hôpitaux au travers de la tarification à l’activité ; ce n’est pas rien, mais on en est resté à ce qui n’était qu’une étape ! Cette médicalisation devrait concerner tous les aspects de la prise en charge de la participation active des patients, à la prise de décisions cliniques. En outre, la réutilisation des données pour l’évaluation des pratiques, la pharmacovigilance, la recherche clinique ou le pilotage médico-économique doit devenir une réalité opérationnelle et pas seulement l’objet de congrès.
Quatre facteurs du retard français
Le retard français tient à quatre facteurs principaux : une limitation des investissements informatiques, l’inadaptation des structures de pilotage à la médicalisation nécessaire et progressive des systèmes d’information, l’absence de structure claire de gouvernance informatique et le peu de formation et de recherche en la matière.
En pourcentage de leurs dépenses annuelles, les hôpitaux français investissent deux à trois fois moins que leurs homologues Nord-Américains pour leurs systèmes d’information cliniques. En conséquence, l’offre industrielle est pauvre. Aux USA, le programme Health Information Technology for Economic and Clinical Health Act, comportant une incitation financière pour l’utilisation significative des dossiers médicaux électroniques, s’est traduit par une augmentation rapide du niveau de maturité informatique des établissements.
Si dans les années 80, la création de la discipline universitaire « Biostatistique, informatique médicale » permettait encore d’espérer une ouverture sur l’évaluation de la qualité des soins et la recherche en santé publique, les départements d’information médicale des hôpitaux ont vu leurs responsabilités et moyens d’action cantonnés à la seule facturation de l’activité hospitalière. Alors que se produit cette extraordinaire révolution du numérique, le métier de responsable de l’information médicale à l’hôpital est peu attractif. En outre, demeure la dualité entre l’informatique dite « administrative » et l’informatique dite « biomédicale », alors que cela fait un tout. Faute d’investissement, l’écart se creuse avec les établissements étrangers et notamment les États-Unis où les hôpitaux intègrent non seulement leurs données, mais suivent avec leurs correspondants de ville le devenir de leurs patients.
En France, quelques grands hôpitaux possèdent en leur sein les compétences requises pour la réalisation de tels projets aussi structurant dans la médecine contemporaine que l’architecture physique d’un bâtiment hospitalier, encore faudrait-il les solliciter et leur donner une position dans la structure managériale de l’hôpital.
Les régions à la traîne
À l’échelon régional la situation est pire. Là aussi l’information médicale se limite au traitement des sous-produits de la facturation alors que la priorité devrait être épidémiologique et ne pas se limiter au seul secteur hospitalier. La télémédecine, le suivi à domicile des patients permettent à la fois une prise en charge plus adaptée et moins onéreuse. L’émergence des systèmes d’information sanitaires régionaux est lente, limitée à des opérations pilotes dans le cadre d’un appel d’offres Territoires de Soins Numériques, de surcroît les différents services de l’État et des collectivités territoriales restent cloisonnés entre les secteurs de la médecine, du médico-social, et du social.
Avec l’absence de budget, le déficit d’experts est la cause principale de la mal-gouvernance informatique. Il faut renforcer la formation, définir des programmes de formation et de certification adaptés aux enjeux.
Les initiatives récentes du gouvernement dans le domaine des données de santé partagées sont obnubilées par le risque de ré-identification, ce qui conduit, de fait, à en limiter les applications. D’une façon générale, le système de santé français ne s’est pas adapté à la société de l’information. Aux USA, l’Obamacare et ses dispositifs associés font de l’informatique de santé une dimension centrale de la réforme du système de santé et expliquent la vigueur de l’offre industrielle américaine. Une politique engagée et volontariste de modernisation du système global d’information de santé doit donc accompagner en France les réformes structurelles nécessaires.
* Respectivement : Professeur honoraire à la faculté de médecine de Marseille, Président d’Openhealth Institute ; Professeur à la Faculté de Médecine Paris Descartes ; Membre honoraire de l'Institut Universitaire de France (IUF) ; Professeur émérite au CNAM, Membre de l'Académie des technologies.
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