Lorsqu’il reçut en janvier 2015 le prix Salat Baroux à l’Académie nationale de médecine, le Pr Antonio Pellicer, gynécologue obstétricien espagnol, fondateur de l’Institut d’infertilité de Valence (IVI), se livra à un plaidoyer en faveur du don d’ovocyte anonyme et rémunéré. En Espagne, une femme peut donner ses ovocytes deux fois par an maximum, six fois dans une vie, pour un dédommagement à hauteur de 900, 1 000 euros. L’appel fit des émules. L’académicien le Pr Philippe Bouchard souhaite que la législation française évolue pour répondre à la souffrance des femmes en insuffisance ovarienne.
422 donneuses, pour 2 110 couples
« On n’a pas encore atteint l’autosuffisance en terme de don d’ovocytes en France » reconnaît le Pr Dominique Royère, directeur du pôle embryologie-génétique humaine à l’Agence de la biomédecine (ABM). En 2012, 2 110 couples étaient en attente d’un don, un chiffre en augmentation (ils étaient 1 238 en 2010 et 1723 en 2011). Seulement 422 femmes ont donné leurs ovocytes, permettant 800 FIV et la naissance de 164 enfants. « Il faudrait 900 donneuses chaque année pour atteindre l’autosuffisance, car un don peut contribuer à la réalisation du projet de 2 receveuses. Les dons d’ovocytes ont augmenté de 30 % ces 4 dernières années, mais ce n’est pas suffisant », estime le Pr Royère.
« La tentation de l’étranger est forte, elle est même parfois encouragée par les médecins, lorsque la femme a 37, 38 ans et qu’elle devrait attendre 2 ou 3 ans en France », constate Sylvie Bunford, de l’association « AMPhore ».
Rémunérer pour avoir davantage de donneuses ? « L’un des principes cardinaux de la bioéthique est la gratuité et la solidarité du don. Néanmoins, si on est confronté à une pénurie, cela mérite réflexion. Le don d’ovocyte, par sa lourdeur, n’est pas comparable au don de sperme* » s’interroge Emmanuel Hirsch.
Neutralité financière
Le principe de la gratuité découle du code civil où il est inscrit qu’« aucune partie du corps humain ne peut faire l’objet d’une marchandisation ». À l’ABM, le Pr Royère préfère - pour dissiper tout malentendu - parler de neutralité financière. « Une donneuse d’ovocyte aura tous les soins pris en charge par la sécurité sociale. Ses frais non médicaux seront aussi compensés : la garde des enfants en bas âge, l’indemnisation de l’immobilisation professionnelle, les transports », détaille-t-il.
Du côté des 29 centres de don d’ovocytes, des efforts ont été faits pour permettre cette neutralité. « La ponction d’ovocytes chez une donneuse a vu sa valeur rehaussée par rapport à une ponction banale pour une FIV. Et des enveloppes MIG (missions d’intérêt général) viennent absorber les surcoûts des centres liés à la compensation des donneuses », explique le Pr Royère.
En réalité, les choses peinent à se mettre en place et les centres ne voient pas toujours les financements atterrir dans la bonne case. « Les MIG ne sont pas suffisantes pour le don, les hôpitaux n’ont pas l’habitude d’indemniser les donneuses, les praticiens ne connaissent pas tout ce qui peut être remboursé, le système manque de fluidité », remarque le Pr Buzan.
Malgré ce bémol, qui devrait se corriger avec le temps, les spécialistes sont très réticents à introduire une dimension monétaire - et avec elle le spectre de la marchandisation - dans le don. « Les femmes ne donnent pas pour l’argent ; elles donnent par compassion, quand leur dernier né a 2 ans, car elles connaissent un moment heureux avec leur petit et pensent aux femmes qui ne vivent pas ça », explique la sage-femme Betty Chevallier, auteur d’une thèse** sur le don d’ovocyte. En cas de rémunération, « comment la femme receveuse vivra-t-elle son parcours ? Que dira-t-elle à son enfant ? », s’interroge-t-elle.
Donneuse VIP
L’Agence de la biomédecine compte beaucoup sur les campagnes d’information pour atteindre l’autosuffisance. Mais les donneuses restent le plus souvent mues par le bouche-à-oreille et la connaissance d’une histoire douloureuse dans leur entourage. Le Pr Lévy demande alors qu’on valorise plus globalement le don. « Il faut reconnaître l’importance du don, accompagner la femme, en faire une VIP », insiste-t-elle. « C’est toute une culture à développer », enchérit le Pr Buzan.
**Betty Chevallier. Essai sur le don d’ovocytes : questionnements éthiques dans le monde d’aujourd’hui. Ethics. Université Paris Sud - Paris XI, 2011
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