Aujourd’hui, peu d’études scientifiques solides valident l’intérêt médical des applications et objets connectés. « La Haute Autorité de santé (HAS), pour sa part, a publié, en octobre 2016, un référentiel de bonnes pratiques sur ce thème à destination des industriels, et non des patients et professionnels de santé », indique le Dr François Martin (Tours), coordinateur du groupe Éducation thérapeutique (Ether) de la Société de pneumologie de langue française (SPLF). Le référentiel HAS propose plusieurs classifications des applications et des objets connectés (lire encadré).
Allégations mensongères et mésusages
Balances et bracelets ont été les premiers objets connectés à apparaître sur le marché français. Dès 2010, ils ont rencontré un certain succès auprès du grand public en bonne santé dans un cadre d’utilisation plutôt ludique.
D’autres appareils pouvant avoir un effet en pneumologie, tels les oxymètres de pouls et les débitmètres de pointe, ont vu le jour ces dernières années. « Tous ces objets sont d’abord apparus par le biais des ingénieurs et des fabricants. Le plus souvent, leur utilité médicale reste à prouver. Il existe un décalage entre les allégations publicitaires des fabricants et le véritable objectif de santé des objets connectés, affirme le Dr Nicolas Postel-Vinay (HEGP, Paris), qui détaille sur le site dont il est le créateur, Automesure, plusieurs exemples d’écueils de la santé connectée. Les publicités qui promettent, par exemple, une amélioration de la santé respiratoire des personnes asthmatiques par le biais de l’utilisation de saturomètres connectés sont mensongères. En effet, si la mesure régulière de la saturométrie peut être utile pour un certain nombre de patients atteints de BPCO, ce n’est pas le cas pour les patients asthmatiques. Aucune étude sérieuse n’a, à ce jour, démontré l’intérêt de la mesure régulière de la saturométrie pour détecter une crise d’asthme. » D’ailleurs, « il n’existe aucune recommandation en ce sens », ajoute-t-il.
Un autre type de mésusage d’objets connectés est l’utilisation de la saturométrie dans le cadre des soins palliatifs, où la dyspnée est un symptôme fréquent. « Cette mesure entretient une illusion de soin. Elle conduit souvent à une médicalisation inutile de la fin de vie, et se révèle souvent source d’angoisse pour les familles, regrette le Dr Postel-Vinay. Il y a d’ailleurs souvent un mésusage de l’oxygénothérapie dans ce cadre. »
Observance : éducation versus télésurveillance
Ces dernières années, de nombreux débats ont concerné l’accès aux données des patients et, notamment, le lien entre télésurveillance et observance thérapeutique chez les patients atteints de maladies chroniques. Le Dr Martin rappelle les études présentées par le groupe Ether (1), démontrant la supériorité de l’efficacité de l’éducation thérapeutique « présentielle » par rapport aux dispositifs de télésurveillance des données de patients en matière d’apnée du sommeil (lire aussi page XX). En matière d’observance thérapeutique, la relation humaine, l’intersubjectivité du médecin et du patient reste primordiale. Elle ne peut être gérée dans un cadre exclusivement informatisé. Et les résultats des plateformes américaines d’aide à la prise médicamenteuse – en particulier pour le traitement antituberculeux –, se prévalant d’une amélioration spectaculaire de l’observance, laissent sceptique le Dr Martin.
En effet, si quelques études scientifiques solides ont montré que le fait d’utiliser des objets connectés d’automesure favorise l’observance chez des patients non observants atteints de maladies chroniques, il en existe aussi de nombreuses autres négatives. « Ce n’est pas parce que l’usage d’un appareil connecté est mémorisé dans un smartphone qu’il est ipso facto une aide à l’observance », s’insurge le Dr Postel-Vinay. D’ailleurs, le lien entre l’utilisation régulière d’objets connectés d’automesure dans la prise en charge des BPCO et la réduction du taux d’hospitalisation n’est pas non plus constamment retrouvé. « Au contraire, des équipes ont montré que trop d’alarmes accroît la dépense de soins sans bénéfice clinique. La recherche sur les objets connectés doit ainsi se poursuivre afin de mieux évaluer leur utilité en matière de santé », insiste le Dr Postel-Vinay. Quelle est la pertinence de leur utilisation ? À quelle fréquence doivent-ils être utilisés ? Un patient atteint de BPCO, par exemple, a-t-il besoin de mesurer sa saturation en oxygène plusieurs fois par heure tous les jours ? Les études scientifiques menées par les professionnels de santé – indépendantes de celles des industriels – devraient, à l’avenir, répondre à ces interrogations.
Les « serious games » : encore beaucoup à inventer
La HAS évoque aussi les « serious games », ces jeux vidéo qui permettent aux personnes vivant avec une maladie chronique de mieux comprendre et gérer leur pathologie. « Des études ont démontré l’intérêt de leur utilisation dans les maladies métaboliques (diabète, obésité). Ils constituent, en effet, une véritable aide pour améliorer la qualité de vie des patients (alimentation et activité physique notamment). Malheureusement, pour ce qui concerne l’asthme, une méta-analyse réalisée en 2013 [2] ne montre pas suffisamment d’éléments convaincants quant à l’amélioration de la qualité de vie des patients via l’utilisation des jeux vidéo existants. Néanmoins, à l’avenir, ceux-ci vont évoluer. Il y a encore beaucoup de choses à inventer en la matière pour tenter d’améliorer le quotidien des patients ayant une maladie respiratoire », reconnaît le Dr Martin.
Les jeux vidéo d’éducation thérapeutique proposent à l’adulte ou à l’enfant malade une mise en situation par le biais d’un avatar à qui il arrive de multiples événements liés à sa pathologie. « Toutes les situations que traverse l’avatar sont programmées à l’avance, alors même que le patient qui utilise le jeu vidéo a l’impression d’une liberté totale dans ses choix et leurs conséquences. Le principal risque de ces “serious games” est de laisser le patient seul face à son ordinateur ou son smartphone, sans aucune médiation de la part d’un professionnel de santé », met en garde le Dr Martin. Pour que les objets connectés apportent un réel bénéfice aux patients, ils doivent être accompagnés par des soignants. « Car ce qui est techniquement faisable n’est pas toujours éthiquement souhaitable », conclut le Dr Martin.
exergue : Trop d’alarmes accroît la dépense de soins sans bénéfice clinique
Entretiens avec Dr Nicolas Postel-Vinay, praticien dans l’unité d’hypertension artérielle de l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), et le Dr François Martin, pneumologue, responsable pédagogique du DU « éducation thérapeutique » à l’université François-Rabelais (Tours) et coordinateur du groupe « éducation thérapeutique » (Ether) de la Société de pneumologie de langue française (SPLF)
(1) http://splf.fr/groupes-de-travail/education-therapeutique-ether/documen…
(2) Marcano Bellisario J. S., Huckvale K., Greenfied G. et al. « Smartphone and tablet self-management apps for asthma », Cochrane Database of Systematic Reviews, no 11, 2013
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