Comment les Ordres professionnels – dont l’Ordre national des médecins – assurent-ils leurs missions de contrôle des capacités professionnelles et du respect de la déontologie ? La Cour des comptes y consacre un chapitre entier dans son épais rapport annuel rendu public ce jeudi et épingle à nouveau les instances concernées.
Les magistrats ont voulu savoir si des progrès ont été accomplis par les cinq Ordres professionnels (médecins, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes) depuis leur contrôle entre 2016 et 2020.
Pour l’Ordre des médecins, ce contrôle avait abouti à un rapport accablant publié en 2019, assorti de réponses de l’institution ordinale sur le fond et la forme. La Cour lui reprochait de « graves lacunes » dans l’exercice de certaines missions, de « sérieux dysfonctionnements » dans la justice disciplinaire avec des contrôles « inopérants », des « désordres comptables » ou encore un immobilier « somptuaire ».
Dans ce nouvel opus, les magistrats ont considéré que « si les Ordres se trouvent chacun dans une situation particulière », ils « assurent toujours de manière inégale leurs missions administratives, parfois au détriment de l’intérêt des patients ».
Gestion du tableau, peut mieux faire
La première des missions est la tenue fiable du tableau d’inscription pour s’assurer de la régularité des entrées des professionnels dans le métier. Or, si cette tâche est en majorité correctement exercée, « aucun Ordre n’a dématérialisé le processus d’inscription », rendant le contrôle des diplômes peu efficient. La Cour note toutefois que l’Ordre des médecins a initié une procédure d’inscription en ligne pour les internes.
De surcroît, les outils informatiques déployés ne permettent pas de recueillir les interdictions d’exercer prononcées contre les praticiens. Or, ces procédures auraient permis « une désactivation systématique et immédiate de la carte professionnelle et éviter la ré-inscription d’un médecin condamné dans une région dans une autre, non informée de sa condamnation ».
DPC : contrôle perfectible
Pour les magistrats de la rue Cambon, le contrôle des capacités professionnelles est une autre mission « largement perfectible ». S’agissant de l’actualisation des compétences, à part l’Ordre des pharmaciens, « les autres n’ont pas fait de cette mission une priorité et ne se sont pas dotés d’outils de recueil et traitement des données relatives aux formations suivies par les praticiens ». Le système reste donc lacunaire.
Dans le même registre, la plupart des Ordres « ne connaissent ni le nombre de praticiens ayant chaque année actualisé leurs connaissances, ni le type de formation suivie, et ne sont donc pas en mesure d’identifier ceux d’entre eux dont l’exercice pourrait représenter un risque pour les patients », se désole la Cour des comptes.
La situation est d’autant plus problématique que « ce sont souvent les mêmes praticiens qui se forment d’une année sur l’autre pendant qu’une majorité ne satisfait pas à ses obligations », taclent les magistrats. Pour les médecins, « 10 % des praticiens en Mayenne et 15 % dans les Alpes-Maritimes ont justifié d’une attestation DPC au cours de la période 2014 à 2017 ».
Confusion des genres
Pourtant au cœur des missions ordinales, le contrôle des relations entre les professionnels et l’industrie pharmaceutique reste « peu fréquent », « les Ordres ne s’étant pas donné les moyens de contrôler la conformité des conventions ni le cumul par praticien des conventions conclues ». Pourtant, cette recherche aurait donné « une indication précise d’un risque d’atteinte à l’indépendance du praticien », peut-on lire.
Autre reproche : les missions ordinales de service public requièrent une parfaite impartialité. « Or, celle-ci n’est pas toujours garantie, notamment en raison d’une confusion récurrente rôle ordinal et rôle syndical », soulignent les magistrats. La Cour cite l’exemple de l’Ordre des chirurgiens-dentistes qui a apporté un soutien financier important à un syndicat dentaire pour l’organisation d’une manifestation en 2014.
Fermés sur eux-mêmes
Pis, les précautions prises en matière de prévention des conflits d’intérêts sont « d’intensité variable », selon les Ordres contrôlés. La Cour note toutefois que, depuis 2016, l’Ordre des médecins a imposé aux conseillers nationaux de remplir une déclaration d’intérêts (avec publication depuis 2020).
D’une manière générale, ces Ordres sont jugés « trop fermés sur eux-mêmes » et conservateurs (avec une sur-représentation des inactifs, une sous-représentation des femmes, une longévité des dirigeants nationaux à leur poste et un fréquent cumul des mandats territoriaux). Mais plusieurs réformes dans les tuyaux – parité dans les instances de gouvernance, interdiction du cumul des mandats simultanés, fixation à 71 ans de l’âge limite pour se présenter à une élection ordinale – pourraient aboutir à un rééquilibrage de certains conseils.
La justice disciplinaire variable
Malgré le renforcement de l’indépendance de la justice disciplinaire, les magistrats estiment qu’elle peine toujours à s’imposer. Les Ordres font une distinction infondée entre « plaintes » et « doléances », deux notions envisagées pour désengorger les juridictions. Conséquence, « 22 % seulement des courriers de patients signalant un problème avec leur médecin ont été traités comme des plaintes en 2017 ».
Par ailleurs, note la Cour, « les sanctions prononcées par les juridictions ordinales sont moins lourdes que celles prononcées par les juridictions pénales ». Le rapport indique que plusieurs cas ont été relevés, auprès de l’Ordre des médecins, « de praticiens, condamnés par le juge pénal à de lourdes peines de prison, et à une interdiction définitive d’exercer, mais peu ou pas sanctionnés par la chambre disciplinaire ».
L’Ordre des médecins conteste
Dans ses réponses à la Cour, l’Ordre national des médecins (CNOM) déplore la méthode utilisée qui globalise dans un chapitre unique les critiques formulées à l’encontre des cinq instances professionnelles, « rendant ainsi la compréhension difficile pour le lecteur et bâtissant un rapport à charge ne prenant pas en compte certaines propositions d’amélioration déjà mises en œuvre par l’Ordre des médecins ».
Le CNOM n’accepte pas, par exemple, que lui soit imputée la responsabilité du retard à mettre en œuvre le contrôle du respect par les médecins de leur obligation de développement professionnel continu (DPC). « À titre d’information, ce n’est que le 11 décembre 2020 que l’ANDPC a ouvert, sur son site, un espace dédié DPC document de traçabilité avec l’activation du compte par le médecin », écrit-il.
Et concernant la justice ordinale, supposée laxiste, le CNOM considère que la Cour sort de son rôle lorsqu’elle affirme que les décisions des chambres disciplinaires de l’Ordre sont moins lourdes que celles prononcées par les juridictions pénales « alors que la démonstration du contraire lui a déjà été faite à plusieurs reprises ».
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes