« Il existe une tristesse, un manque, un vide et une incomplétude de l'être », Cécile, 33 ans. « Cela me semble une injustice immense que d'être privée d'informations sur mon donneur et de devoir vivre avec ces questions sans réponses, de ne pas avoir accès à mes antécédents médicaux. Sans parler des risques de consanguinité », Inès 26 ans. « J'ai grandi tout en sachant inconsciemment ce secret », Hugo, 29 ans.
Ces témoignages collectés par l'association PMAnonyme pourraient bientôt appartenir au passé. Les députés ont adopté le 2 octobre, non sans débats, l'article 3 qui autorise les personnes issues d'AMP avec donneur à accéder, si elles le souhaitent, à leur majorité, aux données non-identifiantes du donneur et/ou à son identité.
Cette levée possible de l'anonymat est une révolution par rapport au modèle des Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), fondés en 1973 sur les principes de gratuité et d'anonymat. Le Pr Georges David avait alors accentué la comparaison entre don de sperme et de sang afin d'imposer l'idée de donneurs bénévoles, et de donner un cadre médical et officiel à la lutte contre l'infertilité - qui se faisait jusqu'alors dans le secret, par des médecins rémunérant de jeunes donneurs et exploitant financièrement des couples en souffrance.
Sans nier la nécessité d'un changement, certaines voix au sein des CECOS craignent que la levée de l'anonymat ne dissuade les donneurs. Selon une étude conduite par le Pr Louis Bujan (CHU Toulouse), 47 % (quand ils sont déjà parents) et 54 % (chez les nullipares) des 1 021 candidats au don interrogés entre 2016 et 2018 seraient toujours d'accord pour donner en cas de levée de l'anonymat. Plus de 92 % des donneurs considèrent que l'anonymat est le meilleur mode. « On risque de perdre quelques donneurs. Et les nouveaux profils font parfois valoir des motivations narcissiques qui nous inquiètent », explique le Pr Jean-François Guérin, président de la commission d'éthique de la fédération des CECOS.
Levée du secret salutaire
Du point de vue de l'enfant, beaucoup saluent la fin possible du secret. Un secret menacé de facto par l'essor des tests ADN.
« Cela fait du don un acte social, et réhumanise le donneur, en tant que personne ayant donné dans un cadre institutionnel, pour que d'autres soient parents », explique la sociologue Irène Théry. Quant au risque de confusion entre parent et origine, la loi sanctuarise depuis 2002 - et la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) - la distinction entre une recherche en maternité et paternité, destinée à faire reconnaître un parent biologique dans une filiation (avec possible héritage à la clé) et recherche du géniteur.
Selon l'anthropologue Jérôme Courduriès, est ainsi admise « la coexistence entre ceux qui ont voulu la naissance d'un enfant, et ceux qui y ont contribué ». Mais il n'y a pas pour autant concurrence entre les figures. Une situation pas si nouvelle. « En Europe autrefois, ailleurs aujourd'hui, des enfants circulent dans les familles, sans mystère. Et l'enfant sait à qui il doit la vie ».
Les psychiatres saluent la possibilité pour un enfant de pouvoir recomposer le puzzle de ses origines. « Il ne s'agit pas de faire la police des familles, mais il est important que l'enfant connaisse la particularité de son mode de filiation, considère le Dr Serge Hefez. Car il y a un fantôme : “cela” circule dans la dynamique familiale. Visualiser un donneur, en faire une personne à part entière permet de dégonfler l'imaginaire et de remettre chacun à sa place », poursuit-il.
Pour la pédopsychiatre et psychanalyste Myriam Szejer, il est d'autant plus important de lever le voile sur les origines qu'elles ne font pas seulement l'objet d'un secret de famille, mais d'État. « La loi a pris quelque chose aux enfants issus d'un don et leur en interdit l'accès. Les enfants sont confrontés à un mur infranchissable susceptible de provoquer de multiples fantasmes persécutifs ».
Des origines devant nous
Néanmoins, l'accès à des données non identifiantes ou à l'identité d'un donneur n'épuisera jamais la question des origines, « d'où je viens », question « vertigineuse, inextinguible qui résiste à tout raisonnement et nous confronte à notre contingence », souligne le Pr François Ansermet. Le pédopsychiatre et psychanalyste, membre du Comité consultatif national d'éthique met en garde contre les tendances à réduire les origines au biologique, ou l'identité, aux origines. « L'identité est un devenir », explique-t-il. « Les origines sont devant nous et en mouvement : nous les réinventons sans cesse », dit en écho le Dr Hefez.
La Pr Marie-Rose Moro appelle aussi à ne pas céder à la tyrannie des origines ni à l'idéal de transparence de notre société. « Il faut accepter que certains ne se soucient pas de la question du donneur, explique la pédopsychiatre. Attention à ne pas édicter des règles qui encombrent les enfants, au détriment de leurs besoins : des récits authentiques, sans honte ni tabou, qui leur permettent de se raconter une histoire ».
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