À la veille du lancement des États généraux de la bioéthique, Jean-François Mattei, ancien ministre de la Santé, professeur de pédiatrie et de génétique, membre de l'Académie nationale de médecine, a livré une vision critique du transhumanisme et posthumanisme, à l'occasion de la présentation de son dernier livre « Questions de conscience »*, au Café nile.
Le Pr Mattei, qui fut membre du Comité consultatif national d'éthique, se réclame d'une démarche éthique, dans l'héritage des questionnements sur ce qui fait notre humanité, ouverts au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale.
Dès avant le transhumanisme, « les progrès de la médecine ouvrent de nouvelles questions », analyse-t-il. La possibilité de remplacer des organes fait-elle du corps une machine ? Sans répondre directement à cette question, Jean-François Mattéi refuse de réduire la personne à sa matérialité : « On peut vous changer le cœur mais vous restez le même. » Et de rappeler les principes inscrits dans les premières lois de bioéthique de 1994 : inviolabilité du corps humain, impossibilité pour le corps humain d’être l’objet d’un droit patrimonial évaluable en argent, obligation du consentement, et en cas de don, gratuité et anonymat.
Si une personne ne se résume pas à son corps, elle ne se résume pas davantage à ses gènes ni à son ADN, poursuit le Pr Mattei, craignant, dans les diagnostics préimplantatoires et prénatals, une dérive vers la « chasse au mauvais gène ».
Menaces sur la solidarité, le lien social…
Mais le transhumanisme rend toutes ces craintes plus aiguës, selon l'académicien. « La communication est maline : le transhumanisme – l'homme réparé – se propose de soutenir la recherche contre les maladies, d'améliorer les performances de l'homme, de lutter contre les effets du vieillissement »… Des projets difficiles à contester, alors qu'il n'y a qu'un pas de là au post-humanisme, soit l'homme transformé, dit-il. Pour Jean-François Mattei, ces courants n'ont d'autres finalités que de créer « une nouvelle mythologie », pour combler « le grand vide de convictions et de valeurs » qui marquent notre époque.
Or ils portent en eux plusieurs menaces, à commencer par la réduction de l'homme à ces gènes, au détriment de la culture, et l'explosion des inégalités sociales, car seuls les plus riches pourront se payer cet outillage scientifique. En outre, le lien social sera menacé : « De mon expérience de président de la Croix-Rouge, j'ai compris que la vulnérabilité et la fragilité créent le lien social », a-t-il déclaré. Et la fin de la mort nous condamnerait à un éternel ennui.
Que l'homme garde la maîtrise sur les machines
Plutôt que de succomber aux sirènes de ces « idéologies modernes », l'homme doit « s'inventer lui-même une vie meilleure », et faire preuve « d'un rebond d'humanisme », estime le Pr Mattei, appelant chacun (et notamment les médecins, dès les études de médecine) à adopter le questionnement éthique. C'est notamment l'enjeu des États généraux de la bioéthique, où « il faut s'interroger sur la meilleure réponse pour respecter la dignité humaine ».
Concrètement, les médecins ne doivent pas être asservis par les machines, mais servis. « Une médecine sans les médecins est impossible, car seule la communication entre deux êtres permet la confiance. Nous devons garder la maîtrise sur les machines et algorithmes, tout en nous appuyant dessus pour nous faire gagner du temps humain », a-t-il déclaré. « Que ça nous libère, mais ne nous remplace pas », conclut-il.
* Éditions Les liens qui libèrent, 2017.
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