Pilotés depuis le 18 janvier par le CCNE, les débats qui préparent la nouvelle mouture de la loi bioéthique annoncée pour l’automne donnent la parole aux scientifiques, éthiciens, acteurs politiques et sociaux, mais aussi aux autorités religieuses. Celles-ci se sont déjà exprimé côté catholique, avec un communiqué de la Conférence des évêques de France (CEF), qui s’oppose à l’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires et aux couples lesbiens. Mais qu’en disent les médecins, tout à la fois concernés dans leurs pratiques médicales et dans leur engagement religieux ? L’enquête menée par le Quotidien révèle la diversité de leurs analyses et de leurs prises de position, qui privilégient souvent les arguments anthropologiques aux analyses théologiques.
Deux approches chrétiennes
Chez les médecins chrétiens, deux approches se distinguent : au CCMF (Centre catholique des médecins français), ils embrayent derrière les évêques : d’une part, au nom des « lois qui régissent la famille, la parentalité, la filiation, lois ancestrales et universelles de notre commune humanité malgré sa diversité, qui nous invitent à l’infinie unité de l’être », d’autre part, en raison de « la responsabilité particulière des médecins en regard des droits de l’Enfant et pour la défense de tous les fragiles », le Dr Bertrand Galichon n’est pas favorable à l’extension de l’AMP. « Elle changera notre regard philosophique sur notre humanité, pronostique-t-il, ajoutant un argument technique : « le risque de marchandisation des gamètes », alors que les CECOS sont en déficit, et que l’augmentation des demandes (les « demandes sociétales » s’ajoutant aux « demandes médicales ») pourrait, selon le président du CCMF, faire passer les AMP du service public au secteur privé et lucratif. « Bref, nous avons le pied sur la pédale de frein, résume le Dr François Blin, ex-président de la Fédération européenne des médecins catholiques, aussi bien pour l’extension de l’AMP que pour l’autorisation de la GPA ».
Côté protestant, la question est prise « à bras-le-corps depuis plusieurs mois » et elle fera l’objet d’une longue déclaration en mars, annonce le Dr Jean-Gustave Hentz. « Sur l’élargissement de l’AMP, je rejoins l’avis favorable des églises belges qui s’appuient sur des études scientifiques sérieuses, montrant qu’il n’y a pas plus de difficulté scolaire ou affective chez les enfants de parents homosexuels que chez les autres. La Fédération protestante ne ferme donc pas la porte à cette évolution, indique le président de son Comité éthique et société, tout en n’étant pas en mesure de donner le feu vert. Les approches protestantes sont en effet plurielles, entre libéraux et évangéliques. En revanche les risques de marchandisation, d’exploitation du corps de la femme et les problèmes de filiation nous conduisent à rejeter la légalisation de la GPA.»
Israël autorise la GPA
Cette diversité de points de vue se retrouve au sein de l’Association des médecins israélites de France, qui regroupe quelque 4 000 membres, « certains pour, d’autres contre l’AMP et la GPA, mais aucun ne donnant dans l’anathème et la stigmatisation », souligne le Dr Bruno Haliaoua. Le président de l’AMIF souligne que « la sanctification de la vie, selon le Talmud et a fortiori pour les médecins, est le critère qui prime. C’est pourquoi nous n’avons jamais exprimé de réticence ni sur l’utilisation du préservatif, ni sur la pilule. De surcroit, nous sommes attentifs à l’exemple d’Israël, un État qui n’est pas religieux, mais où la religion tient une place importante ; la GPA y est autorisée depuis 1996. La culture historique montre qu’avec les progrès scientifiques, les questionnements éthiques sont appelés à évoluer et nous les approchons avec un respect constant des lois de la République. »
« Fornication médicalement assistée »
Chez les médecins musulmans de l’Association médicale Avicenne de France, deux approches visent les deux sujets : pour la GPA, « le débat n’est pas tranché, indique le Dr Marwan El Bakhour. Un pays comme l’Iran autorise. Evidemment, il faut rester vigilant face aux risques de dérives, avec l’exploitation de femmes sans ressources et de marchandisation du corps humain. Mais dès lors que la filiation est établie, il n’y a pas d’obstacle religieux. » Pour l’AMP, c’est encore la question de la filiation qui est en jeu : « après la préservation de la religion et celle de la vie, la préservation de la filiation constitue le troisième dogme de l’islam, explique le président de l’AMAF. En dehors du couple homme et femme liée par le mariage, celle-ci n’est pas respectée et elle est donc proscrite, ouvrant la voie à ce que l’imam Tarek Oubrou appelle la fornication médicalement assistée. En revanche, toute intervention médicale pour traiter un couple homme-femme marié est envisageable, sans restriction. »
Les bouddhistes quant à eux ne s’appuient pas sur une exégèse et une éthique canoniques. « Ce qui nous réunit, au sein de nos diverses traditions, explique le psychanalyste et maître Zen Frederico Procopio, ce sont les dix préceptes fondamentaux du Bouddha, à commencer par le premier, ne pas prendre la vie. Prendre la vie, c’est tuer, mais c’est aussi refuser de regarder une personne, ou alors la regarder comme une erreur de la nature, une transgression de sa supposée loi, un être qui ne fait pas partie de la nature. Dès lors, toute notre vie vise à libérer les personnes et les couples de la souffrance et de ses causes. Nous ne saurions donc appliquer à autrui une éthique normée. Les arguments anthropologiques brandis par certaines autorités religieuses sont empreints de rigidités dogmatiques qui empêchent de laisser jaillir la compassion, au cas par cas et selon l’aide que les avancées scientifiques nous permettent de procurer à tous les couples en butte à la souffrance. » Les bouddhistes n’expriment pas d’opposition de principe à la GPA, ni à l’AMP.
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