La réflexion éthique consiste à éclairer nos actions à la lumière de principes et valeurs que l'on se donne. À se confronter à des problèmes sans solutions données. À mettre en lumière certains domaines pour lesquels « l'in-quiétude doit être nécessaire et sans fin », selon Didier Sicard, président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).
Ces domaines, le CCNE nous en propose neuf, dans le cadre des États généraux de la bioéthique (EGB) 2018, qui précèdent les débats législatifs de l'automne. De la recherche sur l'embryon à l'environnement, en passant par les neurosciences, la procréation et la fin de vie, la génétique, les dons d'organe, les datas et les robots, le champ a de quoi impressionner. Et la tentation pourrait être grande, dans un monde de l'urgence, de sauter ce temps de la réflexion pour se rendre directement aux conclusions politiques. Les précédentes révisions des lois de bioéthiques de 1994, qui ont eu lieu en 2004 et 2011, ont apporté leur lot de mesures (création de l'agence de la biomédecine, interdiction du clonage, ouverture du cercle des donneurs d'organes, autorisation du don croisé, de la vitrification, du don de gamètes de nullipares, etc). Ce nouvel examen des lois de bioéthique promet d'autres évolutions. « Rien n'est joué. C'est open bar, y compris sur les grands sujets », résume le Pr Jean-François Delfraissy, actuel président du CCNE.
Inventer ensemble des réponses inédites
Pourtant, il y aurait beaucoup à perdre à manquer ce débat, pour la démocratie, qu'on l'appelle « sanitaire, participative, ou vivante ». Pour penser « quel monde voulons-nous pour demain » (sous-titre de ces EGB).
Auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat le 8 mars dernier, Jean-Claude Ameisen, précédent président du CCNE, a mis en garde contre la polarisation (et paralysie) des réflexions par des enjeux politiques. Le temps du débat doit être celui du déploiement de la complexité des sujets, non celui des pressions, des lobbies, des « pour ou contre ». « Un véritable débat éthique ne consiste pas à choisir entre des idées préétablies, mais à inventer quelque chose de nouveau. Réfléchir ensemble, c'est aller vers des chemins différents de ceux que chacun avait au départ », dit Jean-Claude Ameisen.
Mais au fond, qu'y a-t-il à ré-examiner ? La bioéthique qui s'est formalisée à travers le procès des médecins, à Nuremberg, en 1946-1947, puis le rapport Belmont, publié en 1979 aux États-Unis 1979, n'a-t-elle pas fixé des principes universels, comme le respect du consentement volontaire, le principe de bienfaisance et de justice, et la non-violence sur les êtres humains ? D'aucuns, comme Jean-François Mattéi, ministre de la Santé lors des premières lois de 1994, craignent que ces révisions donnent à ces principes « une date de péremption ». D’autres estiment qu'on pourrait se contenter du « cas par cas » ; de la jurisprudence.
« Environ 50 % des connaissances en sciences de la santé sont renouvelées tous les 4 ans », rappelle Jean-François Delfraissy. Cette accélération des connaissances provoque un désajustement par rapport à nos systèmes sociaux, dit autrement le philosophe Bernard Stiegler, qui parle de « disruption technoscientifique ». En outre, les représentations sociales sur la fin de vie, la procréation, la famille, interrogent les techniques et l'usage qu'on leur assigne. C'est pourquoi il nous faut réfléchir le plus largement possible, invite le CCNE, quitte à faire exploser les définitions de la bioéthique, de la science, des techniques. En évitant deux écueils : occulter la faisabilité et l'accès réel aux droits, et se détourner de sujets qui semblent très lointains au motif que les obstacles techniques ne sont pas prêts d'être levés.
Respect des droits, et droit de participer
Face à cette ouverture vertigineuse, comment réfléchir sans tomber dans l'abstraction ni s'enliser dans les ornières idéologiques ? Au nom de quoi poser des limites ? En regardant s'il y a adéquation entre pratiques et respect des droits fondamentaux de chaque personne, toute la complexité se nichant dans le « chaque personne », propose Jean-Claude Ameisen.
Cette attention aux relations (contradictoires) entre les acteurs caractérise même le « 2e âge de la bioéthique à la française* », décrypte le philosophe membre du CCNE Frédéric Worms. Le premier âge de la bioéthique (qui n'a pas pour autant disparu) était davantage marqué par le souci de faire coexister les différentes cultures et représentations du sens de la vie, d'une société française plurielle.
En amont des débats éthiques, le premier des droits est celui à la participation. Encore faut-il être informé. Et c'est pourquoi la presse a - comme d'autres - un rôle à jouer. Le « Quotidien » tente de le remplir en proposant cette nouvelle rubrique « Questions d'éthique » qui a vocation à se pérenniser au-delà de ces États généraux.
*La France est le seul pays à s'être doté d'une loi « relative à la bioéthique », celle du 6 août 2004 (avec pour spécificité de prévoir sa propre révision). Elle fait ainsi de la bioéthique un concept non plus seulement philosophique, mais aussi juridique.
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