JUSQU’OÙ va « la déflagration » évoquée par le président du LEEM (voir encadré) ? Du côté des médecins libéraux, on ne sous-estime pas les répercussions sur l’exercice quotidien du déferlement médiatique actuel autour du médicament (listes de produits « sous surveillance », opérations transparence, mise en cause du système de pharmacovigilance défaillant, débat sur le rapport bénéfice/risques et les effets secondaires). Le Dr Christian Jeambrun, président du Syndicat des médecins libéraux (SML) est le plus alarmiste dans son analyse. « Il ne se passe pas deux heures sans qu’on me parle des risques des médicaments. Il est certain que nous serons rapidement confrontés à des problèmes d’observance et de suivi des traitements médicamenteux. Un patient m’a même dit qu’il préférait avoir des complications liées à son diabète plutôt qu’au traitement de son diabète… » Dans cette période où il est difficile de faire le tri, le Dr Jeambrun appelle les pouvoirs publics à tenir un discours beaucoup plus clair et tranché. « Aujourd’hui, on lit tout et n’importe quoi. Il faut un retour au calme, et un rappel que le médicament, c’est d’abord quelque chose d’utile. Au plus haut niveau de l’État, on doit s’expliquer très très vite sur ce sujet qui concerne tous les Français. »
« Dans la tempête ».
Le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), est sur la même ligne inquiète. « En ce moment, les médecins rament à contre-courant ! Ils sont pris dans la tempête. D’abord ils apprennent par la presse, et non pas directement, que des médicaments qu’ils prescrivent tous les jours sont potentiellement dangereux et même très dangereux. Cela les met en porte-à-faux. Ensuite, ils n’ont pas toujours de produits de remplacement. Enfin et surtout, cela entraîne des inquiétudes, des coups de téléphone des patients qui traduisent un début de crise de confiance à l’égard du médicament. La réalité, c’est que les pouvoirs publics traumatisés ouvrent le parapluie à tous les étages sans en mesurer toutes les conséquences. »
Nettement plus positif, le Dr Claude Leicher, patron de MG-France, estime au contraire que le grand déballage sur le médicament peut avoir des avantages. « Cela peut conduire à une meilleure appropriation du médicament par les assurés, à un questionnement utile sur le bon usage, à une meilleure justification de certaines prescriptions ». Au demeurant, pour ce responsable, le changement des comportements est perceptible depuis vingt ans. « Les patients posent de plus en plus de questions, réclament des explications à la différence de la génération précédente qui réclamait des médicaments. On est entré depuis longtemps dans un processus de co-décision médicale. » Il tient donc à calmer le jeu. « Les patients suspicieux seront sans doute un peu plus suspicieux et les confiants auront quelques interrogations. Mais pour l’instant, je ne perçois pas de réticences au médicament chez les patients chroniques ».
Représentants les spécialistes confédérés (UMESPE-CSMF), le Dr Jean-François Rey tient lui aussi un discours optimiste. Son constat est le même que celui de ses confrères : « Depuis une dizaine de jours, il y a des patients qui s’inquiètent ; et les médecins correspondants sont interrogés. » Gastro-entérologue, le Dr Rey est prescripteur de « médicaments puissants et innovants » bien souvent assortis de « trois pages de contre-indications », présentant « autant d’effets secondaires et de risques que de bénéfices ». Certains patients qui ne lisaient pas les notices de leurs médicaments se mettent à le faire. Sans que cela ait beaucoup de conséquences, ajoute-t-il, puisque souvent, pour ces malades lourds, le bénéfice est évident. Aux yeux du patron de l’UMESPE, plus délicates sont les questions des médicaments à SMR faible – « En digestif, beaucoup ont été déremboursés et c’est très difficile à expliquer aux patients » – et des médicaments prescrits hors AMM – «Moi, explique-t-il, j’exerce dans les Alpes-Maritimes. Il y a énormément de personnes âgées, polypathologiques, qui sont sous antiagrégants plaquettaires depuis des années. Pourquoi ? » Le Dr Rey estime que ce ne serait « pas si mal que l’ensemble de la communauté médicale » se penche sur ce genre de prescription.
Le Dr Jean-Paul Hamon, coprésident d’Union Généraliste (UG), est le seul à n’avoir pas décelé de changement notoire dans l’attitude de ses patients : « Mes malades, dit-il, je les vois depuis un moment. Et des questions sur le médicament, ils m’en posaient avant l’affaire du Mediator ! Quant à la liste de l’AFSSAPS [lire ci-dessus], elle est là pour amuser la galerie ... » Curieusement, l’hôpital n’a pas plus ressenti l’onde de choc. Présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), psychiatre en CHU et prescripteur à ce titre de « médicaments très lourds » (neuroleptiques, psychotropes…), le Dr Rachel Bocher s’en étonne : « Depuis le début de la crise, je n’ai pas eu une question, pas une ! Je ne sais pas comment l’expliquer. Peut-être cela tient-il au fait que nous soignons des malades chroniques, que nous connaissons souvent depuis des années. Ou bien au fait que les patients hospitaliers souffrent de pathologies complexes, pour lesquelles la question du bénéfice/risque se pose moins. Ou peut-être que, quoi qu’on en dise, le CHU reste auréolé : les patients ont confiance. »
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