LE QUOTIDIEN : L’industrie pharmaceutique est vent debout contre le PLFSS 2015. La situation est-elle plus grave que d’habitude ?
PATRICK ERRARD : Si on additionne l’ensemble des mesures qui touchent le médicament, nous arrivons potentiellement à un total d’environ 1,5 milliard d’euros de contribution de l’industrie pharmaceutique pour 2015. Ceci est disproportionné, d’où notre sentiment d’injustice ! L’année dernière, nous en étions à 1,3 milliard d’efforts, il y a donc une nouvelle aggravation du poids qui pèse sur les industriels du médicament.
La ministre a précisé qu’elle souhaitait fixer à 3,5 milliards d’euros les économies sur les médicaments jusqu’en 2017. Les discussions ne sont pas terminées, si bien que nous ne savons pas ce que nous aurons à payer pour l’année 2017. Nous espérons passer de 900 millions de contribution sur les postes « baisses de prix des médicaments et développement des génériques » en 2015, à 500 millions en 2017. Ceci nous mettrait en cohérence avec ce que pèse l’industrie du médicament dans l’ONDAM.
Pour la première fois, le « taux K » (devenu taux L), qui détermine le seuil de déclenchement des remises des laboratoires en fonction de la croissance du chiffre d’affaires, est négatif. Comment réagissez-vous ?
C’est un signal délétère adressé à l’industrie. Il signifie que l’on programme la récession du secteur. C’est inexplicable, alors que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, retrouvent des points de croissance et que l’innovation est de retour. Nous avons invité Marisol Touraine à modifier son analyse, en redonnant au secteur une dynamique qui lui permette de préserver les innovations majeures attendues dans les prochaines années. Il faut que nous soyons entendus sur ce point.
Avez-vous évalué les conséquences concrètes du PLFSS sur l’activité des laboratoires ?
La première sera une réduction des investissements industriels, avec des risques de délocalisations de production en particulier sur les produits matures dont les prix sont revus à la baisse. Ensuite, il y a l’emploi. Il y aura une baisse des investissements en emploi dans l’industrie, dans les sièges sociaux, sans parler de la visite médicale qui est constamment en réduction.
Enfin, le domaine de la recherche connaîtra aussi une diminution des investissements. Pas dans la recherche fondamentale qui est déjà très en retrait par rapport à ce que l’on voudrait, mais surtout en matière de recherche clinique. On va se faire distancer par nos voisins européens, cela est très dommageable pour l’accès à l’innovation au bénéfice du patient.
Vous militez pour des réformes de structure. Lesquelles ?
Nous proposons des mesures de bon usage des soins incluant, mais pas seulement, le médicament. Elles permettraient de mieux organiser le parcours de soins entre l’hôpital et la ville, et de réduire significativement les soins redondants (télémédecine, dossier médical personnalisé, réseau de soins libéral/public…). Nous estimons également que l’hôpital doit améliorer son efficience, en concentrant par exemple les plateaux techniques, et en revisitant le modèle d’hospitalisation lui-même.
Enfin, il y a tout ce qui vise à améliorer les conditions de prescription des médicaments. Je pense à l’automédication, mais aussi à des mesures concrètes pour diminuer le nombre d’accidents médicaux dus à la iatrogénie, notamment chez les personnes âgées. Ces mesures permettraient d’économiser plus d’un milliard d’euros en rythme annuel. À ce sujet, je voudrais lancer un appel aux médecins : ils sont au cœur du système, ils doivent se battre pour garder leur indépendance, leur libre arbitre. Cette liberté passe par une responsabilité que nous devons partager sur l’usage des soins et des médicaments.
Au sujet des innovations thérapeutiques, les syndicats de médecins s’étonnent du prix élevé auquel est proposé le Sovaldi, traitement de l’hépatite C. Le gouvernement a programmé une régulation spécifique de ces dépenses. Comment faire pour payer les molécules innovantes au juste prix ?
Il existe un système bien organisé de fixation du prix des médicaments en France, qui permet un dialogue entre le comité économique des produits de santé (CEPS) et l’industriel qui soumet son prix. Le CEPS doit, en dialogue avec l’industriel, fixer le juste prix.
Le prix des molécules innovantes sera au cœur des prochaines discussions conventionnelles. La responsabilité du LEEM pour l’année à venir sera de revisiter l’accord qui nous lie au CEPS afin de regarder s’il est adapté au traitement de produits radicalement innovants, touchant des populations relativement larges. Si nous devons en revoir certains articles, nous le ferons car on ne peut pas laisser la situation de cette année se reproduire indéfiniment.
La rosuvastatine (Crestor) est mise sous accord préalable de l’assurance-maladie pour toute initiation de traitement. Comment jugez-vous cette décision ?
C’est clairement une mauvaise mesure, et une dérive s’agissant d’un texte qui s’adresse en l’état à des médicaments assez coûteux. C’est dans le dialogue entre le CEPS, l’assurance-maladie et le laboratoire concerné que la solution se trouve, pas dans des mesures coercitives relevant de la seule autorité de la CNAM. Cette solution frustre les confrères, qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent demander l’autorisation de prescrire un produit d’utilisation courante.
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