C’EST L’HISTOIRE, édifiante, d’une affaire qui fait « pschitt ».
Samedi 8 juin, une alerte est lancée après le signalement par un pharmacien malouin de la présence de comprimés de somnifère (Zopiclone) dans des boîtes de diurétiques (Furosémide). L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) lance dans la foulée une vaste procédure de rappel des lots. Le lendemain, un nonagénaire qui prenait du Furosémide meurt à Marseille. Décès suspect. Tout de suite, la machine médiatique s’emballe, rapidement alimentée par plusieurs autres signalements de morts suspectes.
Absence d’infraction, enquête classée.
À la demande de Marisol Touraine, l’ANSM inspecte longuement (et sans succès) le site de conditionnement du laboratoire Teva, qui fabrique les deux médicaments génériqués. Durant ce laps de temps, la production de l’usine Teva est bloquée. Les patients sont invités à ramener chez leur pharmacien les boîtes de Furosémide en leur possession.
Le 20 juin, l’évidence commence à s’imposer. Aucune des boîtes de Furosémide inspectées (200 000 comprimés examinés...) ne contient de Zopiclone. Les analyses toxicologiques effectuées sur les morts suspects ne décèlent aucune trace de ce somnifère. L’ANSM lève son alerte. De son côté le parquet de Paris qui avait ouvert une enquête préliminaire, classe l’affaire sans suite, « en l’absence d’infraction constatée ».
Mais les dégâts sont réels. Pour les patients d’abord, dont la méfiance à l’égard des médicaments se trouve renforcée. Pour l’ANSM ensuite, accusée d’avoir ouvert le parapluie un peu trop hâtivement, davantage pour se protéger elle-même que dans un souci de santé publique, jugent ses détracteurs.
Pour Teva enfin, injustement pointé du doigt, et dont la production et le fonctionnement ont été affectés par cet incident. La question se pose : une alternative à cette alerte générale existait-elle ?
Sonner le tocsin.
Pour le Pr Guy Vallancien, la réponse est oui. Le médiatique urologue estime qu’on a fait les choses à l’envers. « Dans une alerte de ce type, juge-t-il, il faut enquêter en silence, comme le ferait une instruction judiciaire, et non sonner le tocsin ». Pourquoi l’ANSM a-t-elle agi ainsi ? « Après des alertes déplacées, comme celle sur les prothèses de hanche, analyse-t-il, l’Agence avait besoin de se refaire une virginité, mais elle s’est pris les pieds dans le tapis ». Pour lui, une rapide enquête, menée discrètement, aurait mis en évidence que le pharmacien breton, seul professionnel à l’origine de l’alerte, s’était trompé. « Les comprimés de somnifère ne tiennent pas dans le blister de Furosémide, c’était facile à prouver en moins de 24 heures ». Le Pr Vallancien plaide pour le changement. « Dans ces situations, les militaires savent mettre en place des cellules de crise. Il fallait faire pareil, avec des professionnels de la galénique, du conditionnement, et des chaînes de fabrication. On aurait tout de suite vu que le témoignage initial ne tenait pas debout ».
Lucidité rétrospective.
Pas si simple. Du côté de Teva et de l’Agence du médicament, on met en garde contre la lucidité rétrospective des critiques. François Hébert, directeur général adjoint de l’ANSM, relève que c’est le laboratoire Teva lui-même qui a transmis à l’Agence le signalement du pharmacien breton « le jugeant suffisamment sérieux ». De plus, l’Agence a immédiatement envoyé l’ARS de Bretagne enquêter chez le pharmacien, et les premiers constats corroboraient les dires de l’officinal. « C’était une alerte que nous avons jugée très sérieuse, tout comme Teva, même si elle reposait sur un seul signalement. Au vu des conséquences sanitaires possibles, c’était suffisant ».
Un porte-parole de Teva confirme : « c’était une alerte documentée et qualifiée, qui nous a semblé parfaitement légitime. Nous referions pareil si ça se reproduisait. Si on veut une pharmacovigilance qui fonctionne, il n’y a pas d’alternative ».
Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, est plus nuancé. « Il aurait peut-être mieux valu enquêter avant de lancer l’alerte, mais qu’aurait-on dit si l’affaire s’était avérée réelle avant que l’alerte ne soit lancée? ».
Au-delà de cette affaire, le Dr Chassang se dit « stupéfait par l’ambiance paranoïaque » qui entoure la politique de santé publique. Pour lui, « nous payons cash l’addition du sang contaminé et du Mediator ».
Emballement médiatico-judiciaire
L’attitude des médias et de la justice est pointée du doigt. François Hébert souligne que « l’emballement médiatique » n’a pas débuté lors de l’alerte sanitaire, mais lors du signalement d’un premier décès suspect à Marseille. « C’est sur ce point qu’il faudrait travailler à l’avenir, insiste-t-il, on pourrait suggérer à certains de faire preuve de moins de zèle médiatique ».
Un industriel du générique anonyme va plus loin. « Le problème vient du procureur de Marseille qui, dès l’annonce du décès suspect, a donné des interviews ». Si cet industriel juge légitime le lancement d’une enquête préliminaire, il reproche au procureur de s’être « répandu dans les médias avant que les résultats de l’analyse toxicologique soient connus ».
Pour Teva comme pour l’Agence du médicament, l’épisode n’est pas clos. « Une affaire pareille mérite un retour d’expérience » qui sera effectué en interne, confirme l’ANSM. Du côté de Teva, on veut faire toute la lumière. « Nous savons maintenant que les produits qui ont quitté notre usine étaient irréprochables, mais on ne va pas s’arrêter là, on veut savoir ce qui s’est passé ». Teva attend le rapport de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), commandé par le parquet de Paris. « Ce rapport interroge la patiente bretonne, ainsi que le pharmacien et sa préparatrice, conclut le porte-parole de Teva, nous voulons savoir précisément ce qu’ils ont dit ».
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