Mercredi 19 avril au matin, les médecins participant à l'expérimentation nationale sur le cannabis médical ont été avisés qu'un second produit utilisé dans ce cadre était en rupture. Une situation qui inquiète les médecins participant à l'expérimentation contactés par « Le Quotidien ».
Il s'agit de l'huile contenant du THC et du CBD à un ratio 1:20 (20 mg/ml de CBD et 1 mg/ml de THC) qui ne serait plus disponible à court terme, alors que l'huile CBD pure (50 mg/ml de CBD) manquait déjà depuis fin mars.
Cette nouvelle indisponibilité est problématique pour le Pr Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie et médecine de la douleur du CHU de Clermont-Ferrand et président du comité scientifique spécialisé temporaire « Évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France ».
Chez certains patients atteints de douleurs neuropathiques résistantes qui recevaient initialement de l'huile CBD pure, le Pr Authier avait pu opérer un changement en leur prescrivant de l'huile 1:20. « Et maintenant je vais être coincé, car je n'aurai plus qu'à leur proposer un ratio équilibré entre THC et CBD. Indique-t-il. J'ai aussi des patients qui ne supportent pas le THC, et je n'ai plus rien à leur proposer. »
Basculer vers l'Épidyolex
Également impliqué dans l'expérimentation, et spécialiste de l'épilepsie pédiatrique, le Pr Stéphane Auvin du service de neurologie pédiatrique de l'hôpital Robert Debré (AP-HP) a dû renoncer au cannabis thérapeutique pour ses jeunes patients.
« Heureusement, nous avions la possibilité de nous tourner vers l'Épidyolex que nous avons prescrit hors AMM », explique-t-il. L'Épidyolex est un traitement à base de cannabidiol, produit par Jazz Pharmaceuticals, normalement indiqué dans les crises d’épilepsie associées au syndrome de Lennox-Gastaut ou la sclérose tubéreuse de Bourneville.
« Il n'y a pas eu d'étude pour l'évaluer dans l'indication des épilepsies rares et résistantes, ajoute le Pr Auvin. De plus, je ne sais pas si ces produits sont bioéquivalents. La dose n'est pas aussi bien contrôlée dans les huiles CBD dominante que dans l'Épidyolex qui dispose d'une qualité pharmaceutique. » Le neurologue veut aussi mettre en garde contre la tentation, chez les patients pour qui le CBD s'est révélé être efficace, de recourir au CBD disponible dans le commerce : « Il y a des cas rapportés dans la littérature de patients intoxiqués avec des produits non pharmaceutiques, souligne-t-il. Il faut en prendre de grandes quantités pour égaler la dose présente dans les produits de l'expérimentation. »
Un appel d’offres lancé trop tard
Qu'il s'agisse de l'huile à 50 mg/ml de CBD ou de l'huile 1:20, leur indisponibilité a pour origine le fait que l'entreprise Little Green Pharma, fabriquant certains des produits de l'expérimentation, s'était engagée à les fournir gracieusement pendant les deux années que devait durer l'expérimentation, mais n'a pas souhaité s'engager pour l'année supplémentaire décidée par le ministère de la Santé.
La gestion de l'expérimentation est désormais assurée par la Direction générale de la santé (DGS) qui a lancé deux appels d’offres pour assurer la continuité de la fourniture en cannabis thérapeutique. Le 25 mars dernier, les expérimentateurs ont appris que le premier appel d’offres n'avait pas permis de sélectionner un fabricant concernant l'huile CBD pure. La DGS a publié un second appel d’offres le 5 avril dernier, en assouplissant ses exigences.
Dans ce second appel d’offres, la DGS n'exige plus l'absence totale de THC dans l'huile fournie, mais seulement un ratio THC/CBD maximum de 1:50. Par ailleurs, le premier appel d’offres demandait un prix de 14 euros par produit, le second une fourchette de 10 000 à 1 million d'euros pour la fourniture de l'équivalent de 22 000 flacons.
« Les appels d’offres ont peut être été lancés trop tard », juge le Pr Authier, qui estime que le retrait des fabricants, officieusement discuté dès la fin de l'année 2022, aurait pu être mieux anticipé. « L'expérimentation souffre actuellement de difficultés administratives avec des répercussions sur sa dimension médicale », se lamente-t-il.
Un signal très inquiétant
En attendant le résultat de ce second appel d’offres, « Nous sommes dans une situation transitoire où l'on n'a plus de produits, regrette le Pr Authier. C'est un signal très négatif : nous allons avoir du mal à garder les professionnels de santé dans l'expérimentation », prédit-il.
« Personnellement, pour la partie CBD pure, je m'interroge sur le critère de jugement de l'expérimentation, ajoute le Pr Auvin. Le but n'était pas de démontrer la sécurité, mais d'évaluer un mode de dispenciation à la française. Sauf que l'on ne s'est pas attaqué au problème de fond : si on considére les dérivés du cannabis comme des médicaments ? Car si c'est le cas, l'ANSM ne pourra pas délivrer d'AMM sans un degré de preuve suffisant » poursuit-il. Pour le neurologue, le prolongement d'un an de l'expérimentation était nécessaire, car il y a des discussions profondes à entreprendre.
Une réunion d'information doit se tenir ce jeudi 20 avril à la DGS sur la question du statut du cannabis thérapeutique et de son possible remboursement. « Il faut que les arbitrages finaux interviennent avant l'été, espère le Pr Authier. Sinon, il sera trop tard pour faire entrer le cannabis dans le droit commun courant 2024, via le prochain PLFSS. »
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