Les déboires de Sanofi (retard de son candidat vaccin contre le Covid-19) ou de l'Institut Pasteur ont jeté une lumière crue sur les difficultés de la recherche française dans la compétition mondiale de l'innovation pharmaceutique. Lors d'un café Nile (think tank en santé) à Paris, Anne Perrot, inspectrice générale des finances et membre du Conseil d'analyse économique (CAE), autrice d'une note sur le retard français publiée fin janvier (avec Margaret Kyle), a dressé un état des lieux assorti de recommandations.
Carrières peu attractives
Premier frein identifié de longue date, le manque de moyens directs dans la recherche fondamentale dans l'Hexagone. Les crédits publics en R&D (hors CIR) pour la santé ont chuté de 28 % entre 2011 et 2018, passant de 3,5 à 2,5 milliards d'euros. Quand l'Allemagne consacre 3 % de son PIB à la recherche, la France dépasse tout juste les 2 % (dont 18 % sont dédiés à la biologie/santé). « L'écart se creuse avec les autres pays de l'Union européenne, analyse Anne Perrot. Si on compare le niveau d'investissement public, l'Allemagne investit le double par rapport à chez nous. »
Corollaire de la carence de fonds publics, l'attractivité des carrières souffre également. Le salaire des jeunes chercheurs est « un tiers moins élevé que le salaire moyen des pays de l'OCDE », souligne Anne Perrot, ce qui occasionne la fuite des cerveaux.
Écosystème peu propice
La France est à la traîne concernant les liens entre chercheurs universitaires et entreprises pour concrétiser ces projets de recherche fondamentale. En 2016, l'Hexagone apparaît à la 32e place du classement « collaboration Université/Industrie », même si des efforts existent pour multiplier les interactions. Le nombre de start-up en santé a certes augmenté mais le secteur très porteur des biotechs reste en retrait de ses homologues européens « que ce soit en nombre de start-up financées –117 en 2019 contre 135 au Royaume-Uni – ou en montants alloués – ticket moyen de 9 millions d'euros en France contre 12 millions au Royaume-Uni et 16 en Allemagne. »
L'étape suivante – demandes de brevet et préparation au marché d'un candidat médicament prometteur – peut aussi être améliorée. La note du CAE fait état d'un long « déclin français » en matière de brevets. Qu'il s'agit des brevets pharmaceutiques ou des vaccins, « la France a accumulé beaucoup de retard entre le milieu des années 90 et celui des années 2000 », peut-on lire, même si les derniers développements sont prometteurs (en 2019, l'INSERM était le premier déposant de brevets pharmaceutiques et le troisième en biotechs à l'Office européen des brevets).
Trop d'essais cliniques non randomisés
Sur les essais cliniques, le CAE regrette les « faiblesses de l'environnement » tricolore. « Si la France accueille un grand nombre d’essais (notamment sur le Covid-19) et si elle se distingue parfois par un niveau certain d’excellence (comme dans le cas de la recherche en oncologie), de trop nombreux essais ont des normes scientifiques faibles, notamment car ils sont beaucoup plus souvent non aléatoires (non randomisés) en France qu’ils ne le sont dans d’autres pays », lit-on.
Et d'épingler ce type d'essais qui ne peut aboutir à une « preuve de lien de causalité entre la prise du médicament et l’état de santé subséquent. Un exemple récent est l’essai clinique de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine pour le traitement du Covid-19 », tacle la note du CAE. La France pourrait toutefois se positionner comme un leader européen des essais cliniques « si elle procédait à une allocation plus rigoureuse des financements publics » – à réserver aux essais avec des normes élevées de niveau de preuve.
La protection des brevets (monopole d'une durée de 20 ans sur le produit) est un autre sujet majeur de préoccupation pour les innovateurs. De fait, la période de tests et essais cliniques puis les longues démarches de mise sur le marché réduisent en réalité « de 5 à 10 ans » la durée de commercialisation sous brevet. Le produit peut être concurrencé et devenir peu rentable pour l'inventeur de départ (notamment si le brevet cible une pathologie rare).
L'épine du prix
La fixation du prix, confié au comité économique des produits de santé (CEPS), en négociation avec le laboratoire fabricant, est un autre élément de régulation « à repenser ». « Une fois fixé, aucune adaptation n'est permise », constate Anne Perrot. Comme d'autres experts, elle recommande une évolution des prix dans le temps « à partir des données recueillies en vie réelle ». Autre proposition : expérimenter des contrats de rémunération à la performance et d'autres modes de fixation des prix.
Enfin, sujet récurrent, les délais d'accès au marché s'inscrivent dans un processus qui reste long et complexe en France. « La procédure fait appel à une multitude d'agences. Il s'écoule 489 jours en France en moyenne contre 119 en Allemagne » entre l'obtention de l'AMM d'un médicament et sa mise sur le marché. Les procédures ont certes été grandement accélérées avec la crise sanitaire mais le CAE recommande un « interlocuteur unique » pour les porteurs d'innovation.
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