LE DÉCRET relatif à la transparence des liens d’intérêts (entre laboratoires et professionnels de santé), dit « Sunshine Act », est paru au « Journal officiel » du 22 mai. Mais il provoque de très vives réactions dans le monde de la santé, des médecins à l’Ordre en passant par l’industrie.
Le texte prévoit que les avantages supérieurs à 10 euros, en nature ou en espèces (repas, invitation, livre...), perçus sans contrepartie par les médecins, les étudiants, les hôpitaux ou les sociétés de conseil, devront être déclarés et faire l’objet d’une publication détaillée sur un site internet public unique (dans l’attente de ce portail dédié dont les caractéristiques seront déterminées par arrêté, ces informations seront publiées sur le site de l’Ordre dont relève le professionnel de santé, et sur celui du laboratoire concerné).
En revanche, le texte est nettement moins contraignant pour les prestations assurées dans le cadre d’un contrat de collaboration (convention). Il maintient la réglementation en vigueur, avec la publication de l’existence du contrat ou de la convention signée entre les deux parties, mais sans mention précise de leur nature ni du montant des rémunérations versées. La transparence s’arrête ici aux secrets protégés par la loi (notamment industriel et commercial,) précise le décret.
La publication de ce texte hautement sensible aura nécessité 18 mois de tractations. Prévu par la loi Bertrand du 29 décembre 2011, une première mouture rédigée par l’ancien gouvernement, fixant à un euro le seuil de publication des avantages consentis sans contrepartie, avait été retoquée. Un groupe de travail avait été mis en place pour préparer le texte qualifié aujourd’hui par Marisol Touraine d’« avancée majeure en matière de transparence et de prévention des conflits d’intérêt ».
Usine à gaz.
Malgré ce long travail préparatoire, peu de voix ont salué le dispositif final, jugé très insuffisant pour les uns, d’une effroyable complexité pour les autres.
Le LEEM (industriels du médicament) déplore la lourdeur du système imaginé. Son directeur général, Philippe Lamoureux, assure « soutenir la démarche de transparence » mais regrette la fixation d’un seuil « extrêmement bas » pour les avantages perçus, qui imposera la publication d’opérations non significatives en terme de liens d’intérêts. « Nous avions plaidé pour 60 euros », rappelle-t-il. Du moins le LEEM peut-il se satisfaire que le seuil d’un euro n’ait pas été retenu, pour des raisons juridiques énoncées par le Conseil d’État. Pourquoi les conventions sont-elles exonérées de l’obligation de publier leur nature précise et le montant de la rémunération du professionnel de santé ? Pour Philippe Lamoureux, c’est simple : « le secret des affaires, ça existe, précise-t-il, une telle disposition aurait porté atteinte à plusieurs principes généraux du droit, comme la protection de la vie privée, le secret des affaires et le droit de la concurrence. Sans parler de l’impact sur l’attractivité de la France en matière de recherche clinique ».
Très serré, le calendrier pose également problème aux laboratoires. Le LEEM dénonce ainsi « les délais invraisemblables de mise en œuvre du décret ». Les industriels doivent transmettre aux ordres professionnels concernés au plus tard le 1er juin les informations prévues par le décret (reprise rétroactive des données de 2012), pour une première publication au 1er octobre. « Il aurait fallu être devin pour savoir en 2012 ce qu’on allait nous demander de publier en 2013 », se plaint le directeur général du LEEM.
Recours ordinal.
À l’Ordre des médecins, on a une lecture très sévère du décret, jugé trop limitatif et pas à la hauteur des enjeux. « Au nom du respect du secret des affaires, qui l’emporte sur la protection de la santé publique,l’objet des contrats conclus par les industriels (et le montant des rémunérations en découlant) ne sera pas connu », regrette le Dr François Rousselot, en charge de ce dossier à l’Ordre. Pour l’institution, les usagers du système de santé auront une « vision fausse, confuse et tronquée » des liens d’intérêts. L’Ordre s’inquiète aussi de sa capacité à publier sur son site la masse d’informations sur les relations médecins/industrie qu’il va recevoir à partir du 1er juin. « Pour être transparent, il faut être lisible », résume François Rousselot. L’institution a décidé de déposer un recours devant le Conseil d’État contre ce décret.
Deux poids deux mesures.
Côté médecins enfin, le « Sunshine Act » provoque des réactions plutôt hostiles, en raison de son caractère jugé accusateur. Ce décret « jette l’opprobre sur toute la profession médicale en sous-entendant qu’un médecin peut changer de point de vue dans ses pratiques médicales pour 10 euros », peste le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML). Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, considère que le seuil de 10 euros est « très bas » et redoute les amalgames entre liens et conflits d’intérêts. « Il y a deux poids deux mesures », admet-il, entre l’obligation d’afficher des avantages dès 10 euros et la discrétion autour des conventions. « Mais je comprends qu’on ne rende pas publiques toutes les sommes perçues dans un cadre légal », ajoute-t-il.
Pour le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF, le système passe à côté de sa cible : ainsi un étudiant qui reçoit d’un laboratoire un stylo à 11 euros ou un médecin invité à la brasserie du coin figureront sur la liste des bénéficiaires d’avantages consentis sans contrepartie. En revanche, un médecin expert ayant facturé une prestation de 20 000 euros dans le cadre d’une convention ne sera pas signalé. « On amuse la galerie avec des gadgets », résume le Dr Hamon. Seul MG France se démarque dans ce concert de critiques. Le syndicat de généralistes salue la parution du décret, « un moment politique important pour le système de santé français ».
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