La santé dans tous ses états

Aux âmes bien confinées, la valeur attend-elle le nombre des années ?

Publié le 26/02/2021
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PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - Si aucune mesure nouvelle n'est prise, la situation épidémiologique risque fort de devenir incontrôlable. Mais le confinement des plus âgés ou des plus fragiles n'est pas une bonne idée. Cela reviendrait à laisser circuler encore plus le virus, quitte à favoriser l’apparition de nouveaux variants…

Crédit photo : DR

Notre président de la République est donc devenu selon son entourage le premier épidémiologiste de France, suivant sans doute une formation accélérée d’une année à peine, là où les confrères de santé publique mettent plusieurs années à se former et acquérir les compétences dont cette pandémie a mis en exergue l’absolue nécessité.

Se former vite, est-ce se former bien ? Notre président avait fixé l’objectif de 5 000 nouveaux cas par jour pour alléger le deuxième confinement, nous en sommes à 20 000 quotidiens. Un nombre de morts journaliers de 300 en mars 2020 a conduit au premier confinement et à entendre les Français applaudir à 20h les soignants qui pour certains ont payé de leur vie le tribut de leur vocation. Désormais, il s’agit de 400 morts quotidiens au minimum liés à cette Covid-19, sans que cela ne suffise désormais à faire prendre conscience que ces morts auraient pu être en partie évités, qu’ils ne sont pas que des chiffres mais qui des grands-mères, des grands-pères, des pères ou des mères… « Ils seraient morts de toute façon ». Oui, c’est d’ailleurs notre lot commun à toutes et à tous : nous sommes nés pour mourir. Et quand sonne l’heure, peu importe le temps écoulé, cela est toujours trop tôt.

Mais dire que ces patients qui laissent leur vie suite aux méfaits d’un virus avec lequel nous devrions apprendre à vivre, allaient de toute façon mourir, est-ce pour se dédouaner de n’avoir pas agi pour les éviter ? Est-ce une façon de minimiser la mort d’un être humain ? Même s’il est vrai que mourir à 90 ans est plus naturel qu’à 30, y a-t-il un âge à partir duquel la mort devient insignifiante ?

Même s’il est devenu épidémiologiste, notre président sait toujours compter sur son Conseil Scientifique, dont certains membres appuient une recommandation de confiner ceux de nos compatriotes les plus âges et/ou les plus fragiles, voire qu’ils s’auto-confinent. Recommandation assez intrigante à plusieurs titres. Tout d’abord parce que ceux qui la formulent font partie de ceux qui devraient s’auto-confiner si elle était appliquée. Ensuite, quelles seraient les implications d’un tel mode de confinement ? L’un des buts que tout soignant tente d’atteindre est de maintenir l’autonomie le plus longtemps possible de celui qu’il soigne, ainsi que d’assurer un maintien à domicile dans les meilleures conditions. Confiner les plus âgés revient-il alors à leur interdire de sortir pour remplir leur réfrigérateur ou leurs armoires ? Confiner les plus âgés revient-il alors à interdire le passage des aides ménagères à domicile, puisque ces aides ménagères interviennent toutes les semaines dans plusieurs domiciles différents et pourraient être vecteurs de l’infection ? Confiner les plus âgés revient-il alors à leur imposer ce que ces patients se sont déjà imposé depuis presque un an désormais : ne plus voir leurs enfants, petits-enfants, de peur que cette visite ne signe leur arrêt de mort ?

Constat d'échec

Reprise dans les médias et sur les réseaux sociaux, cette idée de confiner la population âgée s’est agrémentée de l’idée de confiner les plus fragiles d’entre nous quel que soit leur âge. Mais où placer le curseur de la fragilité, quand on voit que celle-ci n’est actuellement pas un critère suffisant pour exclure du monde du travail ceux qui l’avaient été lors du confinement de mars 2020 ? Devons-nous envisager de confiner 25 millions de Français au bas mot ? Dans quel but le faire ? Pour laisser vivre « comme avant » les 40 millions d’autres, réputés moins fragiles et moins susceptibles de succomber à cette épidémie ? Les chantres du « vivre avec » accepteraient-ils que nous laissions circuler encore plus le virus, quitte à favoriser encore mieux l’apparition de nouveaux variants au risque de voir nous échapper de nouveau cette épidémie, si tant est que nous l’ayons maîtrisée un jour ? Car il ne faudrait pas balayer d’un revers les risques de séquelles à long terme de ce que l’on appelle déjà le « Covid long ».

D’autres pays ont opté pour la stratégie dite du « Zéro Covid » mais il semblerait que ce cours d’épidémiologie n’ait pas été dispensé dans le cadre de cette formation accélérée dont a bénéficié notre épidémiologiste numéro un. Pour paraphraser un ami qui se reconnaîtra, il est quand même particulièrement triste de constater que si le virus touchait toutes les classes d’âge dans la même proportion, notre pays serait plus uni et plus solidaire.

La situation échappe à notre contrôle. L’exponentielle s’installera irrémédiablement si aucune nouvelle mesure n’est prise en attendant une augmentation de la vaccination dont on peut questionner la lenteur française. Un confinement ne peut être qu’un constat d’échec des mesures « qui n’ont pas marché » alors qu’elles visaient à minimiser l’impact sur la santé de l’ensemble de la population, peu importe son âge. À l’instar de Pierre Corneille, j’aurais tendance à penser que toute âme a la même valeur, peu importe le nombre des années.

Exergue : s’il est vrai que mourir à 90 ans est plus naturel qu’à 30, y a-t-il un âge à partir duquel la mort devient insignifiante ?

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin