Dans le domaine de la santé, 2018 n’a pas été avare en polémiques de toutes sortes. Scandales affectant la sécurité des soins, mises en cause touchant les acteurs de santé, controverses scientifiques… Les bisbilles qui ont éclaté dans le champ sanitaire ont inégalement affecté les lecteurs qui ont répondu à notre enquête. À chaque confrère répondant, nous avions proposé un coup d’œil dans le rétroviseur de l’actualité 2018, lui demandant de dégager les trois polémiques qui l’avaient le plus marqué. Et, surprise ! Ce ne sont pas nécessairement les plus impactantes pour la pratique qui arrivent en tête.
Les pesticides au rencart !
Premier constat, les médecins ont incontestablement l’âme écolo. Dans le top 5 des 18 querelles qui ont émaillé 2018, ils placent deux controverses touchant de près ou de loin les pesticides. À commencer par le report de l’interdiction du glyphosate, qui a fait couler tant d’encre.
Fin mai, le gouvernement décide en effet de ne pas inscrire la fin programmée du célèbre insecticide de Monsanto dans la loi de programmation de l’Agriculture, un engagement pourtant du candidat Macron. Même s’il assure qu’il garde le cap sur l’interdiction en fin de quinquennat, le pouvoir repousse les tentatives de l’ex-ministre PS de l’Environnement Delphine Batho, mais aussi d’une cinquantaine de parlementaires LREM de la majorité emmenée par Matthieu Orphelin. L’affaire, hautement médiatisée, a donc retenu l’attention de 30 % des médecins votants, qui la considèrent comme la controverse de 2018.
Différend autour des bébés sans bras
Autre affaire emblématique du lien entre santé et environnement : celle des bébés sans bras de l’Ain. L’alerte est lancée pendant l’été, par le Remera, le plus ancien des six registres de malformations congénitales en France. Plusieurs bébés sont nés affligés d’une agénésie transverse isolée du membre supérieur. Et on suspecte des cas similaires en Loire-Atlantique et dans le Morbihan. Le lien avec les pesticides est évoqué, mais pas prouvé. Et à l'automne, le constat tourne au bras de fer entre la responsable du Remera et Santé Publique France, cette dernière estimant le nombre de cas pas statistiquement supérieurs à la moyenne. La dispute s’envenime. La ministre diligente une nouvelle enquête. Ce n’est pas terminé. Mais pour l’heure, cela a suffisamment frappé nos lecteurs pour qu’ils la classent en cinquième position. « Il faut éveiller les consciences sur le risque chimique environnemental », estime ainsi un médecin du travail.
Urgences, le drame de Strasbourg
Autre zone de turbulence : les urgences, souvent affectées en 2018 par des mouvements sociaux ou des incidents de sécurité. Emblématique du malaise, le décès de Naomi Musenga à la suite d’une bavure de régulation. L’histoire prend son origine dans les tout derniers jours de 2017. Mais la presse ne lui donnera écho qu’au printemps et ses suites administratives et judiciaires émailleront tout 2018. En cause, la régulatrice du SAMU qui avait pris cet appel à la légère, conduisant au décès de la jeune femme, victime d’une surdose de paracétamol. Nos lecteurs placent cet incident tragique comme l’un des deux plus marquants de l’année, désigné par plus du quart des votants. L’émotion est palpable à l'instar de ce cardiologue qui stigmatise « l'attitude irresponsable de la permanencière. »
Au chevet des Ehpad
Pour les médecins, ce n’est pas le seul motif de préoccupation. Sur le front du social, la santé bouge et ne laisse pas ses acteurs de marbre. En troisième position dans notre palmarès, la situation tendue dans les Ehpad a donc presque autant retenu leur attention. Et pour cause, un bon nombre pousse régulièrement la porte de ces institutions où ils comptent de vieux patients. Et les jeunes ne sont pas indifférents non plus : la crise est « un bon reflet du peu d’intérêt envers les personnes dépendantes dans la société française », analyse une étudiante, future généraliste.
Il faut dire que l’année aura été marquée par des grèves dans le secteur, émaillées de deux journées d’action nationales, le 30 janvier et le 15 mars. Le dossier a débouché sur un rapport parlementaire, suivi d'un plan pour ramener le calme. Tout ça pour ça ? « Combien de rapports commandés par les différents ministres qui se sont succédé à la santé ? Pour quel résultat à ce jour ? » évoque un lecteur.
Dans ce contexte, le déremboursement des médicaments anti-alzheimer décidé par la ministre au printemps et effectif depuis le 1er août- ne laisse pas indifférents les prescripteurs, mais est placé beaucoup plus loin, à la 11è position dans notre classement.
La sécurité sanitaire en ligne de mire
La sécurité des soins ne laisse pas non plus les médecins de marbre : « Implant files », cette enquête menée par un pool de presse international sur le laisser-aller en matière de contrôle et d’autorisation des implants médicaux en ébranle plus d’un. Faut-il y voir une sensibilité accrue du corps médical aux questions d’alerte sanitaire, aiguisée ces dernières années par le Médiator ou le scandale PIP ? Ou est-ce son caractère récent (novembre) qui explique que l’affaire figure parmi les cinq plus importantes de l’année aux yeux des praticiens ? « Le manque de transparence nuit gravement à la confiance déjà bien entamée des patients envers leurs médecins et les pousse à faire confiance en priorité aux informations relayées par internet ou par des pratiques parallèles » se désole ainsi un pneumologue. Quand un gynécologue obstétricien s’étonne du « manque de contrôle incompréhensible des dispositifs implantables. »
Qui veut la peau des « Fake medecine » ?
Reste que d’autres dossiers sont également fréquemment cités. A commencer par la bataille entre pour et anti-homéopathie. Lancée le 19 mars par une tribune de médecins dans le Figaro stigmatisant les « fake médecine », l’initiative a provoqué une quasi guerre civile au sein de la profession. Et si nos lecteurs sont près de 19 % à citer ce conflit parmi les événements marquants de 2018, ils se montrent eux aussi partagés entre les deux camps. « L’homéopathie, toujours remboursée ? Un scandale, » estime un cardiologue. « En matière de santé, la désinformation est inadmissible. Tout le monde sait que l’homéopathie n’a qu’un effet placebo » renchérit une gynécologue médicale. Alors qu’un de ses confrères de la même discipline juge au contraire que « l’homéopathie est une thérapeutique extrêmement utile, lorsqu’on a appris à l’utiliser. » Tout ça pour ça ? Un praticien hospitalier relativise : « beaucoup de passions et de discours convenus sur un sujet à examiner objectivement ; et en plus pas vraiment urgent. »
Débordement autour de l’IVG
Division aussi autour de l’émotion suscitée par les déclarations Dr Bertrand Rochambeau concernant l’IVG, qui n’est toutefois classée que 10e en ordre d’importance par les médecins. Mi-septembre, le spécialiste revendique sur TMC son droit à ne pas pratiquer d’avortement ; et comme son interlocutrice lui demande si l’IVG est un homicide, il répond : « si madame ! » Le débat est relancé avec vigueur. Des sénateurs PS proposant même de supprimer la clause de conscience des médecins. « Inadmissible, une honte pour la profession » tonne une interne, future généraliste, qui stigmatise la sortie du chef de file du Syngof. Dans le même sens, une de ses aînées se dit aussi « choquée » et évoque sa « peur d’un retour en arrière ». « Mensonges et abus de pouvoir », clame un troisième ! À l’inverse, un médecin hospitalier dénonce dans ces réactions indignées un discours « médicalement correct et idéologique, mettant en danger la liberté de pensée et de conscience. »
Vous et les IJ
La profession est sans doute beaucoup plus unanime sur les arrêts de travail, au 9e rang de notre classement. À la rentrée, les propos du Premier ministre (sur le « jour de congé supplémentaire) et de la ministre de la Santé (le prescripteur « ce n’est pas lui qui paye ») rallument la mèche sur ce terrain. Des sorties mal digérées par les médecins. Tel ce généraliste qui, sur le sujet, met plutôt dos à dos les patrons pour la « mauvaise gouvernance du personnel » et « le poil dans la main » de certains salariés. Un psychiatre épinglant pour sa part « l’hypocrisie des pouvoirs publics ». Le mot de la fin ? Peut-être bien, tant les médecins semblent nombreux à se montrer fâchés avec leurs autorités de tutelle. Mais ça, ce n’est pas nouveau !