«Tout délai risque de coûter cher en vies humaines...» Dans la tribune qui suit, le Pr Gérard Dubois critique l'attentisme des pouvoirs publics qui n'ont pas voulu reconfiner en ce début 2021, en dépit des avis des experts. Ce spécialiste des questions de santé publique presse le gouvernement de prendre sans tarder la décision qui, selon lui, s'impose, afin de limiter le bilan humain de la troisième vague.
CONTRIBUTION - Le virus SARS-CoV-2 cause la Covid-19 qui a tué en deux vagues 70 000 Français en 2020, 7 fois la mortalité annuelle moyenne par grippe, 28 fois celle par accidents de circulation, augmentant la mortalité de toutes causes de 9 %.
Ce virus est transmis par les gouttelettes respiratoires produites lors de la toux, l’éternuement, le cri, le chant et même la parole à voix forte. Les plus grosses ou postillons vont jusqu’à un à deux mètres et peuvent contaminer les surfaces. Les plus petites, en aérosols, restent en suspension jusqu’à leur inhalation ou l’évacuation à l’extérieur. Les mains peuvent être source de contamination après un contact avec une muqueuse infectée, les postillons ou une surface contaminés. Les mesures barrières s’en déduisent directement : masques pour limiter la dispersion du virus ou éviter son inhalation, savon ou gel hydro-alcoolique pour les mains, décontamination des surfaces, décontamination aérienne par l’aération ou les UV en éclairage indirect, distanciation physique, diminution des contacts sociaux, limitation des déplacements géographiques ou par couvre-feu, jusqu’au confinement à domicile.
La première vague est marquée par une augmentation explosive des cas, des hospitalisations, des réanimations et des décès à l’hôpital. Elle a failli mettre en déroute un système de santé mal préparé et affaibli par la récurrence des restrictions. La situation n’a été sauvée que par les initiatives et les improvisations des professionnels de santé associées à un confinement strict du mercredi 17 mars au lundi 11 mai 2020, d’autant mieux compris que la situation d’urgence était criante. Le silence s’est abattu sur les villes pendant que les hôpitaux luttaient, que ravitaillement et approvisionnement étaient assurés par une seconde ligne courageuse et que le gouvernement prenait les mesures financières et sociales nécessaires. Durant cette « première « vague », l'excédent des décès est de 27 300 (+ 27 %) entre le 1er mars et le 30 avril 2020.
Suit une période d’accalmie, sans que jamais le virus disparaisse complètement. Certains croient à tort à la fin de l’épidémie, ce qui conduit à un relâchement des mesures et des comportements. Dès le début d’août, les cas augmentent insensiblement. De plus en plus rapidement, les courbes d’hospitalisations, de réanimations et de décès à l’hôpital reprennent leur ascension. La deuxième vague, un peu moins brutale, nécessite cependant un nouveau confinement le vendredi 30 octobre, allégé le 28 novembre, suivi par un couvre-feu à 20 heures, avancé à 18 heures le 16 janvier. Confinement nettement moins strict que le premier et couvre-feux expliquent une décroissance plus lente que la première qui s’arrête même à mi courbe, en plateau. Cette seconde vague tue plus que la première avec 33 000 décès jusqu’au 31 décembre 2020 (+16 %) car elle dure plus longtemps et n’est pas terminée.
À partir du début de 2021, on assiste à une reprise lente mais régulière des hospitalisations, réanimations et décès à l’hôpital. L’allure n’est pas explosive, mais continue et alarmante. Si nombre d’experts pensent probable un troisième confinement, ce n’est pas la décision présidentielle et gouvernementale annoncée au terme de la réunion en groupe restreint de la Commission de défense sanitaire du 29 janvier 2021. Sont décidés la fermeture des frontières aux pays extérieurs à l’Union européenne, la fermeture des centres commerciaux non-alimentaires de plus de 20 000 m2 et le renforcement du télétravail.
Un pari assumé mais risqué
Cette décision d’attente est un pari assumé du pouvoir exécutif pour éviter les conséquences psychologiques, sociales et économiques d’un troisième confinement. Elle a une portée pratique a priori peu évaluable sur l’épidémie mais fait l’objet d’un suivi attentif des indicateurs habituels. Elle est fortement discutée, voire contestée par des experts reconnus pour leur objectivité et des professionnels de santé en première ligne, ce qui fait de ce pari, un pari risqué.
Le niveau actuel de la contagion ne diminue pas et pourrait s’aggraver, voire exploser si de nouveaux variants plus contagieux deviennent dominants comme ce fut le cas dans plusieurs pays voisins comme la Grande-Bretagne. Un point de départ élevé est inquiétant d’autant plus que le système de santé est déjà surchargé, parfois dépassé par les cas de Covid-19. La vaccination des Français ne peut se faire à une vitesse suffisante pour changer la situation à court et moyen terme. Si les situations de confinement ont certes des conséquences psychologiques, sociales et économiques qui méritent d’être considérées, plus de la moitié des Français se déclarent cependant favorables à un confinement strict et près de trois quarts déclarent qu’ils le respecteraient s’il était décidé,
Si l’on attend que la situation s’aggrave, la réduction de la mobilité et des échanges sociaux sous la forme d’un confinement s’imposera. Il ne sera cependant efficace qu’après un délai de huit à quinze jours. Donc, si gagner du temps pour confiner a des avantages économiques, le pendant est que tout délai risque de coûter cher en vies humaines. Déjà 10 000 décès supplémentaires par Covid-19 depuis le début de l’année. La France risque d’être parmi les pays déplorant plus de 100 000 morts par Covid-19.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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