Covid-19 : les sénateurs blâment « l'impréparation » du gouvernement et épinglent la responsabilité du Pr Jérôme Salomon

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Publié le 10/12/2020
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Crédit photo : S.Toubon

Après les députés au début du mois, c'était ce jeudi au tour des sénateurs de dévoiler les conclusions de leur commission d'enquête sur la gestion de l'épidémie de Covid-19. Dans un rapport fleuve (456 pages) en forme de réquisitoire, les élus du Palais du Luxembourg étrillent le « pilotage défaillant » de la crise, « l'impréparation » et le « retard à l'allumage » du gouvernement.

La gestion des stocks de masques est au cœur de la charge des sénateurs. Cela « restera le triste symbole de l'état d'impréparation du pays et du manque d'anticipation des autorités sanitaires face à la crise », juge les trois rapporteurs : Catherine Deroche (Les Républicains, Maine-et-Loire), Bernard Jomier (Parti socialiste, Paris) et Sylvie Vermeillet (Union centriste, Jura).

Le rapport pointe la responsabilité particulière de l'actuel directeur général de la Santé (DGS), le Pr Jérôme Salomon, après son choix de ne pas renouveler les réserves de masques chirurgicaux à l'automne 2018 (alors que 613 millions de masques étaient déclarés non conformes par l'agence Santé publique France – SPF). À cette date, le stock est alors de seulement 99 millions de masques chirurgicaux dont 60 % devaient arriver à péremption fin 2019…

Pressions

« Choix incompréhensible » pour les sénateurs, le DGS commande fin octobre 2018 seulement 50 millions d'unités nouvelles. « C'est-à-dire une quantité inférieure à ce qui serait nécessaire pour remplacer les seuls masques arrivant à péremption », tance le rapport. La doctrine d'alors, recommandée par SPF, fixait à un milliard de masques la réserve stratégique nécessaire pour faire face à une épidémie qui toucherait 25 à 30 % de la population française. Le Pr Jérôme Salomon justifie son choix par l'adoption d'une nouvelle stratégie reposant sur des « stocks tournant ».

Mais pour Catherine Deroche, « un élément laisse penser que cette décision n'est pas tant assumée que cela ». Le DGS serait « intervenu directement » auprès de SPF pour faire modifier le rapport d'experts qui concluait justement à la pertinence d'un stock d'un milliard de masques. Un échange de mails remontant au mois de février 2019 entre le Pr Salomon et François Bourdillon, alors directeur de SPF, fait ainsi état de la volonté du premier de « modifier la rédaction de certaines formulations » afin de ne plus faire mention d'un stock chiffré. Ces « pressions » ont eu pour effet de remplacer dans le rapport accessible au grand public le terme « stock » par celui de « besoin ». « Cela contrevient à la charque de l'expertise et nuit à l'indépendance scientifique de l'agence », estime Catherine Deroche.

Pénurie évitable

D'autres documents révélés par la commission d'enquête du Sénat montrent que « le gouvernement a sciemment dissimulé la pénurie de masques », poursuit l'élue du Maine-et-Loire. Plusieurs notes en provenance des hôpitaux du Grand Est et des Hauts-de-France font état, dès le mois de février, de tensions sur l'approvisionnement en protections. « Cette situation était connue du gouvernement depuis au moins le 13 mars 2020, contrastant avec un discours exagérément optimiste, en décalage avec le ressenti des acteurs de terrain », écrivent les parlementaires.

« La pénurie était pourtant largement évitable », assure le rapport. Si les décisions avaient été prises plus tôt, et plutôt que de procéder à des réquisitions et des achats précipités sur les marchés internationaux en grande tension, « le coût budgétaire aurait été de 27 millions d'euros contre 450 millions durant la crise » pour constituer un stock à hauteur d'un milliard d'unités.

Buzyn pas entendue ? 

Plus généralement, les sénateurs pointent un « retard à l'allumage » du gouvernement qui avait pourtant toutes les clés pour anticiper la propagation de l'épidémie. Bernard Jomier salue notamment l'« intuition » d'Agnès Buzyn qui « très tôt » a compris « qu'un phénomène épidémique probablement grave allait toucher notre pays ». Malheureusement, celle-ci n'a pas « été entendue par le Premier ministre qui n'a pas pris les dispositions » qui s'imposaient.

L'ancienne ministre de la Santé n'a pas eu à l'époque plus de succès au niveau européen puisque seulement trois pays ont répondu à son appel à mettre en place une réunion à l'échelle communautaire. À ce titre, les rapporteurs s'interrogent sur la pertinence de son départ de Ségur à la mi-février. « On peut se dire qu'elle n'a pas été assez convaincante dans ses propos mais elle a eu la connaissance de ce qui allait se passer », analyse Bernard Jomier.

Gestion des stocks plus proche du terrain

Afin d'éviter une nouvelle pénurie, les auteurs proposent une nouvelle stratégie de gestion des stocks. Ils envisagent une constitution de réserves « au plus près des besoins » : dans les établissements de santé, dans les foyers qui seraient invités à s'équiper d'une boîte de 50 masques chirurgicaux et dans les cabinets de ville. Il est ainsi proposé d'intégrer « la constitution de stocks de masques chirurgicaux et le contrôle de leur qualité par les professionnels de santé libéraux » dans les critères de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP).

Enfin, les sénateurs recommandent la création d'un « délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires » nommé auprès du Premier ministre afin d'éviter la « cacophonie » qui, selon eux, a été celle du gouvernement pendant la crise.


Source : lequotidiendumedecin.fr