En Russie, Chechourino, symbole des villages pauvres coupés de l’accès aux soins

Publié le 16/07/2015
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Crédit photo : AFP

Plus de 70 ans après sa naissance dans le petit village de Chechourino, à une demi-journée de voiture de Moscou, Guennadi Vinogradov ne demande plus qu’une chose : pouvoir mourir chez lui dans la dignité. Mais en raison de la crise, les autorités russes ont arrêté de financer la clinique de son village, qui est la seule à des kilomètres à la ronde et est désormais promise à une fermeture inéluctable, au grand désarroi de Guennadi et de ses voisins. « S’ils ferment la clinique, ce sera une catastrophe. On paye notre assurance santé et on a le droit d’être soignés ! », s’insurge le vieil homme de 76 ans. C’est comme si « on voulait nous tuer », dit-il.

Si la crise économique qui secoue la Russie est moins visible dans la capitale, les villages isolés comme Chechourino sont de plus en plus livrés à eux-mêmes face au désengagement des services de l’État. Certains experts estiment même que les récentes tentatives de réforme du secteur de la santé, dont le budget est en constante baisse, ont conduit à une hausse du taux de mortalité : il est estimé à 14 pour 1 000 habitants au premier trimestre contre 13,5 pour 1 000 sur la même période l’année dernière.

« Les petits villages ont le plus haut taux de mortalité chez les adultes et les personnes âgées », souligne un rapport du Comité des initiatives civiques, un groupe mené par l’ancien ministre des Finances Alexeï Koudrine, publié au début du mois de juillet. Le président Vladimir Poutine, qui s’est depuis longtemps engagé à redresser le déficit démographique du pays, a demandé au gouvernement, en juin, de prendre des mesures d’urgence pour contrer « la hausse importante de la mortalité » dans le pays.

Docteurs ’Skype’

À Chechourino, la clinique n’était plus guère qu’un centre de convalescence pour les habitants, mais elle restait le seul endroit où ils pouvaient recevoir une assistance médicale, que ce soit pour des maladies chroniques ou pour des urgences. « Les gens viennent nous voir pour trouver de l’aide et nous les aidons, bien que nous ne soyons plus supposés le faire », explique Galina Lebedeva, la directrice de la clinique. Elle a été récemment informée par les autorités qu’il « n’y avait plus d’argent » pour entretenir son équipe de 15 infirmières et aides-soignants, et s’attend désormais à mettre la clé sous la porte d’ici à la fin de l’année.

Chechourino est un village situé au bord d’un lac à 400 km au nord-ouest de Moscou avec ses maisons en bois inchangées depuis l’époque tsariste. Si la clinique ferme, les habitants perdront non seulement leur accès aux soins, mais aussi une source d’emploi pour une quinzaine de familles. La clinique a été construite en 1908 par un enfant du pays, Alexeï Kouropatkine, ministre de la Guerre sous le dernier tsar de Russie, Nicolas II. Elle a survécu aux guerres, aux révolutions et à la chute du communisme tandis que la population de Chechourino et des villages environnants s’est progressivement réduite à quelque 230 âmes. La ministre russe de la Santé, Veronika Skvortsova, a reconnu en juin que le gouvernement avait le plus grand mal à retenir ses médecins dans les 83 000 villages de moins de 100 habitants que compte le pays. Pour remédier au problème, elle a suggéré de recourir à des consultations médicales vidéo via Skype. À Chechourino, une telle proposition ne suscite que la colère des habitants, où les promesses des autorités d’installer la fibre optique ne sont guère réalistes. « Nous n’avons même pas de réseau de téléphonie mobile et les téléphones fixes ne marchent qu’un jour sur deux », rappelle Guennadi. L’hôpital le plus proche se trouve à plus de deux heures de voiture. Récemment, lorsqu’un habitant a eu une crise cardiaque, l’ambulance a mis plus de cinq heures à venir au village. Et la clinique avait bien une charrette pour transporter les patients, mais le cheval a été vendu l’année dernière sur ordre des autorités régionales, qui jugeaient son entretien trop coûteux.

Réformes inefficaces

Les réformes du secteur de la santé se sont multipliées au cours des dernières années en Russie pour tenter de moderniser les hôpitaux. Les établissements des grandes villes disposent en général d’équipements de bonne qualité mais les campagnes se retrouvent de plus en plus souvent coupées de l’accès aux soins. Selon la Cour des comptes russe, le secteur médical a perdu l’an passé 90 000 employés.

À Chechourino, les résidents voient depuis le début de la crise leur quotidien déjà difficile devenir peu à peu intenable, explique Galina Lebedeva, dont la clinique s’occupe principalement de retraités pauvres. « Les gens qui ont inventé ces réformes ne savent pas ce qu’est la vie à la campagne. Ils n’ont pas conscience de comment les gens vivent, et de ce qu’ils doivent endurer pour survivre », fustige-t-elle.

Avec AFP

Source : lequotidiendumedecin.fr