« Libérer la parole » sans chercher à résoudre tous les conflits et contradictions qui parcourent un sujet longtemps tabou, tel est le sens que Corinne Bouchoux, sénatrice écologiste de Maine-et-Loire donne au rapport d'information sur les « variations du développement sexuel » publié au terme de 10 mois de travail. Ces variations concerneraient 200 naissances sur 800 000 (mais cela recouvre des groupes très différents selon les profils chromosomiques*).
« La France n'est pas en avance » constate sa consœur socialiste et co-auteur du rapport, Maryvonne Blondin (Finistère). Elle s'est notamment attiré les foudres du comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies (ONU) pour les interventions chirurgicales pratiquées sur les petits.
La prise en charge médicale en question
D'aucuns ont vécu ces opérations « de réassignations » et plus largement les traitements chirurgicaux comme des « tortures », des mutilations exercées dans la plus complète opacité, en dehors de toute nécessité vitale, sans le moindre consentement de l'enfant ; sceau d'une médecine normalisatrice, qui mérite aujourd'hui réparation. Pour d'autres (notamment les malades des glandes surrénales), ce furent des gestes salvateurs.
La contradiction est insoluble, estiment les sénatrices, appelant à ne pas la traiter frontalement. « Il faut remettre les choses dans leur contexte historique. Il y a eu un changement d'attitude du corps médical, en lien avec les progrès de la médecine, la relation patient-médecin, la loi de 2002 sur les droits des malades, et la prise de parole des personnes concernées », souligne Maryvonne Blondin. « Aucun praticien ne décide plus seul des moyens à mettre en oeuvre pour résoudre les situations extrêmement difficiles (...). Le corps médical ne prend plus de décision contre l'avis des parents. Ceux-ci ont un rôle prioritaire aujourd'hui », assure lors de son audition le Dr Pierre Mouriquand, chef du service de chirurgie uro-viscérale de l'enfant du CHU de Lyon.
Protocole de traitement des intersexes
« Ces opérations ne doivent pas être routinières », mettent en garde les sénatrices. S'inspirant du Défenseur des droits auditionné en février 2017, elles demandent que l'enfant, dès lors qu'il y a présomption de discernement, soit associé à toute décision le concernant. Puis qu'un protocole de traitement des variations du développement sexuel soit mis en place. Eu égard à l'irréversibilité d'une chirurgie, le principe de précaution doit prévaloir ; la nécessité médicale de l'opération, avec évaluation du bénéfice-risque, doit être questionnée. Tout comme sa temporalité : « Il n'y a de consensus en faveur de la plus grande précocité que pour les hyperplasies congénitales de surrénales », note la socialiste. Enfin, les familles doivent être orientées vers des centres spécialisés, et bénéficier d'un suivi à long terme.
Seuls deux existent en France, à Paris et Lyon, sans compter le centre de référence pour les maladies rares (CRMR) de Nantes. Insuffisant, dénonce le rapport, qui demande l'établissement de listes d'équipes pluridisciplinaires expertes, et la désignation officielle des centres habilités à opérer les patients.
Les sénatrices insistent sur la nécessité de mieux connaître ces personnes : le CRMR en charge des variations du développement sexuel devrait voir ses missions étendues à l'établissement des statistiques précises sur les opérations de réassignation. Elles recommandent de généraliser la formation du corps médical susceptible d'être en contact avec les intersexes et d'encourager les recherches en sciences humaines et sociales.
Du point de vue éthique, elles recommandent la saisine du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Et appellent à préférer comme terminologie officielle la notion de variations du développement sexuel à celles d'anomalies du développement génital, de désordres du développement sexuel, ou d'intersexes.
Lutte contre les discriminations
Les sénatrices proposent plusieurs mesures pour améliorer leur reconnaissance sociale, comme réfléchir à l'indemnisation des personnes ayant souffert des conséquences d'opération, via l'ONIAM. « Nous ne souhaitons pas de judiciarisation rétrospective », note Maryvonne Blondin.
Le rapport plaide enfin en faveur d'une évolution de notre droit. Si une suppression pure et simple de la mention du sexe à l'état-civil aurait de fortes répercussions (notamment dans la lutte pour l'égalité hommes / femmes), la prolongation du délai de déclaration des naissances au-delà de cinq jours ainsi que du délai pour mentionner le sexe (deux ans aujourd'hui), la possibilité pour les mineurs de solliciter un changement de sexe à l'état-civil, la suppression des informations sur la modification du sexe dans les mentions marginales des extraits d'actes de naissance, seraient des pistes à étudier.
*Selon le Dr Pierre Mouriquand (CHU Lyon), les anomalies congénitales du développement génital représentent une naissance sur 5 000. Le groupe 46 XX DSD (Hyperplasies congénitales des surrénales), une naissance sur 12 000 soit 50 naissances par an en France.
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