Poussée de fièvre du secteur médicosocial, alerte sur les tarifs, perte de sens  

Le gouvernement confronté au ras-le-bol de l'hôpital

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Publié le 05/02/2018
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manif ehpad

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Est-ce la fin de la lune de miel entre l'hôpital et la ministre de la Santé ? Agnès Buzyn doit en tout cas gérer depuis le début de l'année une crise protéiforme dans les établissements sanitaires et médico-sociaux.

Souffrance des personnels confrontés au manque de moyens, étau budgétaire, perte de sens : les feux s'allument de toute part. Dans la rue, mardi dernier, la tension a connu son point culminant à l'occasion d'une grève nationale des salariés des 7 200 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) publics et privés. Un personnel sur trois s'est déclaré gréviste. L'intersyndicale à l'origine du mouvement réclame à Emmanuel Macron l'ouverture de négociations avant le 15 février. Faute de quoi, un nouvel arrêt d'activité se profile.

À l'Assemblée nationale ou dans les médias, Agnès Buzyn, jusque-là épargnée, subit les critiques de plus en plus vives de l'opposition. Au terme d'une longue tirade sur les hôpitaux « qui craquent », le député Insoumis François Ruffin a brandi un chéquier évocateur en plein Hémicycle… Dans les établissements, pas une semaine ne passe sans que la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité ne s'alarme des restructurations et des fermetures jugées intempestives de services.

Équipes sous tension

Symboles de l'excellence française, les grands CHU ne sont pas épargnés. À Paris, la commission médicale d'établissement (CME) de l'AP-HP dénonce les « contraintes budgétaires imposées », incompatibles avec la demande d'augmentation d'activité pour pallier les baisses tarifaires. Le tout « avec des effectifs de personnels non médicaux en diminution alors que de nombreuses équipes sont déjà sous tension ». Même inquiétude à Marseille, où l'AP-HM, plombée par un milliard d'euros de dette – mais dont le projet de modernisation a été déclaré éligible en Copermo* – espère une aide d'au moins 150 millions d'euros de l'État… Faut-il y voir un signe ? Le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) dénonce une « perte de sens des métiers, de l'agent des services hospitaliers au directeur ».

Les fédérations à cran

Alors que l'exécutif réclame à l'hôpital 1,6 milliard d'euros d'économies pour 2018, de quels leviers dispose Agnès Buzyn pour rassurer le secteur ?

Dans les EHPAD, la ministre de la Santé n'a pas convaincu les salariés et les directeurs en débloquant 50 millions d'euros supplémentaires pour les établissements fragilisés par la réforme de la tarification (dont l’impact, à terme, a été chiffré à plus de 200 millions d’euros par la FHF). La nomination d'un médiateur – Pierre Ricordeau, IGAS – pour contrôler les effets de la réforme doit permettre de faire retomber la pression. La pénurie de médecins coordonnateurs, dont un tiers des établissements sont dépourvus, préoccupe également Ségur. En attendant, la ministre a consacré 10 millions d'euros au déploiement des astreintes infirmières de nuit. Des gestes qui apparaissent comme très loin des enjeux…

Dans les hôpitaux, Agnès Buzyn doit composer avec des fédérations à cran depuis sa décision fin 2017 de conserver une partie des crédits mis en réserve en début d'année. Pour les fédérations hospitalières (FHF, FHP, FEHAP, UNICANCER), cette annonce est « un coup porté au pacte de confiance que la ministre a affirmé vouloir bâtir ». C'est donc dans un climat pesant que se prépare la prochaine campagne tarifaire, attendue début mars. 

Sparadraps

Pressée, Agnès Buzyn devrait annoncer un plan d'action avant la fin du mois. Pas de grand soir, selon nos informations, mais une refonte de la tarification hospitalière pour s'émanciper fortement de la T2A « qui pousse à la recherche d'activité sans fin » et une nouvelle mise en perspective de la place de l'hôpital dans l'offre de soins. 

La montée en puissance des financements à l'épisode de soins ou au parcours devrait y figurer, de même que l'incitation aux pratiques hospitalières pertinentes. L'innovation organisationnelle et le décloisonnement ville/hôpital seront bien au cœur du logiciel Buzyn, se réjouit aussi le Dr Cyrille Isaac-Sibille, député Modem du Rhône. « Jusque-là, on a mis des sparadraps sur les plaies de l'hôpital. Aujourd'hui, le gouvernement veut trouver un nouveau modèle tarifaire tout en laissant fleurir les initiatives locales, c'est révolutionnaire ! » note-t-il. Le député propose une expérimentation permettant aux généralistes libéraux d'assurer leurs gardes dans les hôpitaux pour épauler les services d'urgences.

Mais le temps presse. Frédéric Valletoux (FHF) a prévenu le Premier ministre Édouard Philippe en personne : tant que les tarifs hospitaliers seront construits sur la base d'un volume prévisionnel d'activité en hausse de 2 % minimum, l'hôpital ira dans le mur. « L'an dernier, l'hôpital a seulement augmenté son activité de 0,5 %, se désole le patron de la FHF. Résultats : on se retrouve aujourd'hui avec 1,5 milliard d'euros de déficit. » 

* Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins

 

 

Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du médecin: 9637