Nous sommes en 1978. C’est la fin de la visite et le patron, le professeur Émile Aron, nous rejoint. Le dernier patient vu pose un problème. Cliniquement il coche quasiment toutes les cases permettant d’affirmer un diagnostic. Mais voilà, deux ou trois choses n’entrent pas dans le tableau. « Jamais on ne voit ça dans cette pathologie » dis-je. D’une voix calme, mon vieux maître me reprend : « Rappelle-toi, les mots TOUJOURS et JAMAIS existent en politique et en amour, pas en médecine ni en sciences ».
C’était l’une des toutes premières fois de mon cursus où on m’invitait à oser douter. Douter n’est pas un de nos points forts. Pourtant le rationalisme de Descartes s’accompagnait aussi d’une mise en avant du doute critique.
Prenons un exemple de notre vie courante. Souvenez-vous, il n’y a encore pas si longtemps, les prévisions météo étaient données de façon certaine ; « il pleuvra », « il y aura quelques flocons de neige ». Et s’il ne pleuvait pas cela permettait dans les conversations diverses et variées dans les files d’attente de se moquer : « la météo, ils se plantent tout le temps ».
Outre-Manche et outre-Atlantique, de vrais météorologistes annonçaient aussi la pluie, mais ajoutaient que la probabilité était de 60 % par exemple. Et donc s’il ne pleuvait pas on se disait qu’effectivement, il y avait presque une chance sur deux qu’il ne pleuve pas.
Cette part d’incertitude, de hasard, nous en avons encore moins voulu dès que le monde industriel a prétendu nous vendre des produits « zéro défaut » fabriqués dans des usines régies par des concepts de qualité « six sigma », laissant la portion congrue à l’imprévu. Le hasard aurait magiquement disparu ! Et si cela a été possible pour un frigo pourquoi ne le serait-ce pas pour nos corps ? L’inter variabilité, la génétique, les facteurs environnementaux, au diable tout cela. Tout devait pouvoir s’expliquer et se régler.
Ajoutez à cela, l’action d’une célèbre juge aux instructions durant jusqu’à 13 ans, avec des listes de mises en examen longues comme un générique de mauvais film, le tout aboutissant le plus souvent à des relaxes et des non-lieux mais aussi à des carrières inutilement dévastées. Exemple de décision prise par peur de cette juge : dans les années 1990, une ministre des affaires sociales commande un rapport sur l’éventuel intérêt de « pooler » des prélèvements à la recherche de virus de l’hépatite C et de VIH qui auraient échappé aux tests classiques. Trois groupes de travail arrivent à la même conclusion : la technique ne permettrait que la mise en évidence d’un cas supplémentaire sur près d’un million de tests pour une somme astronomique. Réponse de la ministre : « On le fera quand même, je n’ai pas envie de me retrouver devant la Cour de Justice de la République ».
La peur sacralisée par le principe de précaution
À la même époque on me demanda d’intervenir dans une école de journalisme pour parler du risque. Sans aucun jugement de valeur de ma part — et je le reprécise ici pour les éventuels fâcheux — je demandai à mon auditoire son opinion sur deux situations. D’abord, les progrès faits chez les femmes séropositives au VIH qu’on traitait pendant la grossesse et l’accouchement pour réduire la transmission materno-fœtale. Le risque résiduel de contamination était à l’époque de 2 %. Ensuite, les progrès du dépistage dans le don de sang où le risque théorique résiduel de contamination post-transfusionnelle était alors estimé à 1 sur 2 millions.
L’auditoire trouvait les progrès dans le cadre de la grossesse formidables mais, en revanche, s’indignait qu’on pût encore transmettre le virus VIH lors d’une transfusion. Le risque dans le premier cas était, je l’ai dit, de 2 % soit QUARANTE MILLE fois plus élevé que dans le second cas, mais c’est le second risque qui, sur cet auditoire qui, ensuite, informerait l’opinion, devenait inacceptable.
Depuis, en 2005, nous avons ajouté au préambule de notre Constitution, le principe de précaution. Désormais, même face à des risques totalement hypothétiques, ce principe peut être actionné. Beaucoup y voient un frein au développement de la recherche.
Dans ce contexte et face à une absence de vraie pédagogie du risque, comment s’étonner que des centaines de doses de vaccin AstraZeneca, pourtant administrées selon les recommandations des agences sanitaires, ne trouvent pas preneurs.
Une peur d’un hypothétique et rarissime accident l’emporte sur la peur d’une maladie bien réelle qui tue ou laisse parfois de longues séquelles. Nous sommes devenus le pays « ceinture plus bretelles » deux accessoires cependant inaccessibles pendant les périodes de confinement car vendus dans des commerces non essentiels.
Exergue : Face à une absence de pédagogie du risque, comment s’étonner que les doses de vaccin AstraZeneca, pourtant administrées selon les recos des agences, ne trouvent pas preneurs.
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